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De l’écriture, du printemps et des Watchmen

 

Le magnifique acte manqué du week-end : partir deux jours pour un salon (à Bagnols-sur-Cèze en l’occurrence), embarquer son portable en se promettant de travailler sur place… et oublier chez soi la clé USB qui contient la traduction et la nouvelle en cours. Tout n’est pas perdu, j’avais sur mon portable le fichier contenant mes notes en vrac pour la nouvelle (pas la dernière version, mais l’essentiel y était), et j’ai pu réfléchir à quelques points de détail qui me posent problème pour la traduction. Sans rentrer dans les détails, je dois trouver des mots qui se lisent à l’envers comme à l’endroit, notamment pour des titres de chapitre qui se répondent en écho. Pour donner un exemple provenant de la VO : un chapitre s’appelle « Raw », un autre « War ». Et il y en a de beaucoup plus tordus. Ça produit un effet hypnotique assez déroutant quand on commence à lire tous les mots qu’on voit ou entend dans les deux sens. Au bout de quelques minutes, plus moyen d’en sortir. Et je n’ai pas encore tout résolu.

 

Je ne sais pas si c’est lié à mon nouveau portable, mais je n’aurais jamais cru que j’écrirais aussi bien dans le train. Evidemment, en première classe avec une prise pour brancher le portable, c’est tout de suite plus confortable. Mais c’était la première fois que je tentais l’expérience, alors que je traduis régulièrement dans le train. Je suis étonnée de la facilité avec laquelle le texte s’est mis en place. J’en ai écrit un bon tiers dans le train, un autre à l’hôtel, un paragraphe par ci par là, et je l’ai terminé hier en rentrant chez moi, jusqu’à 2h du mat. Il y a eu un de ces moments de grâce que l’écriture réserve parfois : dimanche matin, j’enchaînais les tasses de café derrière ma table de signatures en essayant de me réveiller, j’ai commencé à griffonner des phrases pour un passage que je ne savais pas trop comment aborder… et j’ai noirci trois pages sans m’arrêter, tout s’est mis en place d’un seul coup, c’était magique. Le problème pour ce passage en particulier n’était pas tant de le visualiser que de le ressentir. Et d’un seul coup, ça marche, on se sent pousser des ailes et la scène s’écrit quasiment toute seule – hier soir, je n’ai eu qu’à assembler mes notes dans le bon ordre pour boucler le texte. Je ne sais pas encore ce que vaut l’ensemble, mais je crois que je suis contente de ce que j’ai fait. Il y a six mois que je n’avais pas écrit une ligne, je ne pensais pas que ça reviendrait si facilement. Et ça fait un bien fou.

 

À part ça, salon très sympa, le premier depuis un bail. J’ai retrouvé pas mal de constantes. Le gros méchant coup de barre qui vous tombe dessus en fin de journée, sans commune mesure avec l’effort physique somme toute limité qu’on vient de fournir. Les collègues avec qui on sympathise et qu’on recroisera peut-être plus tard – ou pas. J’ai surtout vendu à des gens qui découvraient mes livres et que les couvertures ou le résumé avaient attirés, mais une rencontre m’a fait plaisir : une dame regarde les livres présents sur la table, s’arrête sur Notre-Dame-aux-Ecailles et fait un commentaire très spontané à sa fille, comme quoi elle l’a lu et beaucoup aimé – et elle comprend juste après que je me trouve juste derrière la table. Du coup, elle a pris Serpentine pour sa fille. Et parmi les moments improbables qu’on vit parfois dans ce genre de salons : au restau, on échange deux trois phrases avec un voisin de table qu’un de ses collègues venait d’appeler « Gérard« , et on percute seulement plus tard que le Gérard en question s’appelle Majax.

 

Dans l’entrée des locaux, je me suis arrêtée plusieurs fois devant une triple pancarte annonçant la sortie de l’adaptation des Watchmen : il y avait Rorschach, le Hibou et Laurie Jupiter. Et je me demandais à chaque fois si je compte ou non aller voir le film, si je l’attends impatiemment ou si j’appréhende le résultat. Des images de la BD me revenaient, des citations aussi, ces poèmes que cite Alan Moore et que j’avais découverts à cette occasion : le tigre de William Blake, l’Ozymandias de Shelley (« My name is Ozymandias, king of kings/Look on my works, ye Mighty, and despair! »). Je précise que j’ai une fascination frustrante pour la poésie de langue anglaise qui me pousse à mémoriser tout un tas de vers sans en connaître le contexte ni forcément en comprendre le sens, le plus obsédant de tous étant ce vers génial de T.S. Eliot découvert par le biais de Stephen King et qui me tourne régulièrement dans la tête depuis : « I’ll show you fear in a handful of dust ». Bref, les Watchmen font partie de ces œuvres qui divisent les gens en deux catégories : ceux qui l’ont lue et ne s’en sont pas remis, ceux qui ne connaissent pas et à qui on tente vaguement d’expliquer l’ampleur et la beauté de la chose. Si je dois aller voir le film, autant que ce soit dès sa sortie, avant de lire ou d’entendre d’autres avis. Je ne sais pas trop à quoi m’attendre, mais je suis intriguée, forcément.

 

Et sinon, le printemps approche, il fait un temps à ranger pulls et manteaux et à ressortir les jupes, à redécouvrir les joies d’un passage matinal à la piscine des Halles avant de commencer la journée de boulot, le nouvel album d’Eleni Mandell est plutôt chouette, le concert d’Elysian Fields a lieu dans une petite semaine, j’ai trouvé les couleurs de ma future déco et ça fait décidément un bien fou de se remettre à l’écriture.

 

 

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