J’ai lu à plusieurs reprises l’anecdote selon laquelle Helena Bonham Carter, en faisant des recherches sur le sujet de l’autisme pour un rôle, s’était aperçue que Tim Burton semblait posséder un grand nombre de traits autistiques. S’il n’a jamais été diagnostiqué officiellement pour autant qu’on le sache, l’hypothèse éclaire certains de ses films sous un angle très intéressant, et l’un d’entre eux en particulier : Edward aux mains d’argent, revu ce soir pour la première fois à la lumière de ces éléments.
S’il est quasiment certain que Tim Burton, en 1990, n’a pas pensé consciemment à l’autisme en créant son personnage, le film en offre pourtant une métaphore saisissante, qui saute à la figure pratiquement à chaque plan quand on connaît un peu le sujet. Tout y est, dans la moindre mimique d’Edward, dans sa gestuelle embarrassée, dans son air de chercher constamment à déchiffrer le monde qui l’entoure, dans les petits mouvements incontrôlés de ses ciseaux rappelant des stéréotypies, dans sa solitude d’être différent, dans ses silences et sa voix timide et monocorde, dans son incompréhension des codes de la conversation, des doubles sens, de l’ambiguïté sexuelle. “Arrête d’être aussi littéral”, lui dit-on même dans l’une des scènes. Le film raconte l’histoire d’un personnage qui cherche à s’intégrer dans un monde qui ne lui ressemble pas, qui cherche à en comprendre toute la complexité, qui ne demande qu’à bien faire mais qu’on rejette au premier incident, qu’on accueille avec de grands sourires pour mieux le chasser ensuite. Un personnage capable d’une incroyable finesse dans les domaines qu’il maîtrise le mieux, mais totalement inadapté au quotidien de son nouvel environnement.
La petite ville où Edward tente de mener cette nouvelle vie ressemble d’ailleurs à un cauchemar de normalité vu par quelqu’un qui ne s’y reconnaît pas. Les teintes pastel des maisons sont écœurantes, tellement fades à côté des splendeurs du manoir gothique de l’inventeur, les sourires sont factices, les conversations sont creuses, les gens disent constamment des choses qu’ils ne pensent pas (ce point en particulier m’a semblé rendu avec une grande justesse : le désarroi d’Edward face au mensonge social, tellement contraire à son fonctionnement). La jolie petite ville et ses jolies petites vies rangées transmettent un malaise diffus, là où le manoir aux couleurs sombres paraît si accueillant et fascinant.
Le film n’est pas simplement un conte tragique et terriblement émouvant, qui saisit encore à la gorge après de multiples visions (j’avais presque oublié à quel point Johnny Depp était bouleversant dans ce rôle) ; c’est aussi, pour stylisée et sans doute inconsciente qu’elle soit, la métaphore de l’autisme la plus poétique que je connaisse, et l’une des plus fines.