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Immersion en milieu burelier

 

J’ai vécu aujourd’hui une expérience extrêmement bizarre. J’ai travaillé dans un bureau.

 

Plus précisément, j’ai déplacé mon « espace portable de traductrice qui peut bosser n’importe où » dans un coin de bureau gracieusement prêté par une amie à qui j’avais dit récemment avoir du mal à travailler chez moi – et qui avait justement de l’espace en rab. J’ai donc eu la curieuse impression de basculer dans un monde parallèle où j’avais déjà fait de brèves incursions (un stage au Reader’s Digest en 1998, pour ce qui est de la vie de bureau, et mes trois ans de standardiste en milieu hôtelier, pour la vie de salariée). Un monde où le temps est une donnée extérieure, immuable, et non pas un truc que je fabrique moi-même en fonction de ma bonne volonté et de ma motivation du moment. Un monde où le temps s’écoule d’ailleurs différemment, beaucoup plus lentement, et où l’on est traversé de pensées telles que « tiens, il est seulement 15h » en lieu et place de l’habituel « ah la vache, il est déjà 15h, dire que j’ai encore ça, ça et ça à faire avant 18h ».

 

Autre avantage du travail en milieu burelier (© Zézette épouse X) : pas moyen de céder au gros méchant coup de barre de 14/15h, horaire stratégique s’il en est. Je ne compte pas le nombre de fois où je me suis endormie chez moi sur mes traductions au stade de la relecture papier (une des raisons pour lesquelles je vais de plus en plus souvent travailler dans les cafés).

 

J’ai peut-être l’air de faire l’andouille mais je ne blague qu’à moitié : ça m’a frappée de constater à quel point c’est une expérience de travail différente, et pourtant, ça tient à très peu de choses. Ce n’est pas juste le fait de partager l’espace d’autres personnes en train de travailler (je fais ça de temps en temps quand je rends visite à des amis traducteurs hors de Paris), mais vraiment l’impression de retrouver un monde qui fonctionne selon des règles totalement différentes et que j’avais en partie oubliées. Même le simple fait de prendre le bus pour aller travailler, le gros coup de barre qui vous tombe dessus en sortant, le fait de se dire « la journée de boulot est finie pour de bon » en quittant les lieux, tout ça m’a fait remonter pas mal de souvenirs. J’imagine que ça ferait halluciner pas mal de gens si je leur disais que tout ça m’a finalement semblé très exotique. Je n’aimerais pas revenir à ce mode de vie de manière régulière, mais une fois de temps en temps, c’est agréable. En pleine période de gros coup de speed sur la traduction de Dime Store Magic remise dans neuf jours, je suis dans les temps , ça fait du bien de passer une journée sans avoir l’impression de courir après le temps et de devoir lutter contre ma tendance naturelle à l’inertie (je préfère écrire « inertie » plutôt que « fainéantise », ça fait un peu plus classe). À ce propos d’ailleurs, bonne résolution pour le mois d’août : dès la remise de la traduction, je m’accorde des vacances. Cinq jours minimum, peut-être même une semaine. Là, tout de suite, je ne rêve que d’une journée passée à lire et à glander.

 

Dans un registre plus classique par rapport à mes habitudes de traduction : si la phase de recherches intensives sur le Net (vocabulaire, termes techniques) conduit souvent à toutes sortes de cogitations bizarres et associations d’idées improbables, ne me demandez pas comment des recherches sur des termes liés aux enterrements m’ont poussée l’autre soir à chercher des articles sur l’actrice et cinéaste Christine Pascal. À l’époque (lointaine) du lycée, j’avais adoré son film Le petit prince a dit, dans lequel un couple divorcé affronte à sa façon la mort imminente de sa petite fille atteinte d’une tumeur au cerveau. Le film avait été remarqué à l’époque pour son approche délicate, pudique et inhabituelle du sujet. J’avais aussi, voire surtout, été marquée par le décès de Christine Pascal en 1996 – apprendre non seulement sa mort, mais le fait qu’elle se soit suicidée lors d’un séjour en hôpital psychiatrique. Ça ne collait pas à l’image plutôt tranquille, et forcément superficielle, que j’avais du personnage, et j’étais encore assez jeune et naïve pour ne pas comprendre que les « gens vus à la télé » sont aussi ordinaires et aussi paumés que nous autres. Curieux comme le fait d’y repenser l’autre soir a fait remonter des souvenirs, ceux d’un été bizarre où je traînais une vague déprime sans comprendre pourquoi, où je me rappelle avoir écouté en boucle le Rid of Me de PJ Harvey en me baladant dans les rues de Dunkerque, faute d’avoir grand-chose à faire de mes journées. Et l’annonce du suicide de Christine Pascal un midi aux infos, fin août, comme un électrochoc qui m’avait bizarrement sortie de ce gros vague à l’âme juste avant la rentrée. Au cours de ma vie, il n’y a eu que trois artistes dont la mort m’a vraiment remuée (j’y ajouterais peut-être celle des actrices Katrin Cartlidge et Charlotte Coleman – la Scarlett de Quatre mariages et un enterrement – mais ce n’est pas tout à fait pareil). Dans ce cas précis, je ne sais toujours pas pourquoi, d’autant que c’est la seule des trois que je n’avais jamais vue « en vrai », les deux autres étant des musiciens vus en concert : d’abord Elliott Smith, puis Grant McLennan des Go-Betweens Grant McLennan, je l’avais aussi rencontré brièvement à deux reprises. Allez savoir si ça tient à l’attachement que j’avais pour son film, au fait qu’elle soit née comme moi un 29 novembre, ou à une histoire de rencontre ratée que je regrette avec le recul. Elle était venue à Dunkerque présenter Le petit prince a dit, je n’avais pas pu m’y rendre, je me rappelle lui avoir envoyé une lettre à l’adresse du cinéma où avait lieu la rencontre, dans laquelle je lui disais (de manière sans doute très naïve) à quel point son film m’avait touchée. Je n’ai jamais su si le courrier était arrivé à bon port et je me demande de toute façon si c’était souhaitable.

 

Et voilà comment on perd une demi-heure de boulot en faisant des recherches qui n’ont rien à voir avec la traduction en cours. Pas moyen de trouver sur le Net un extrait vidéo du Petit prince a dit. Ni des autres films de Christine Pascal, que je n’ai toujours pas vus malgré ma curiosité. Je me demande même combien d’entre eux sont disponibles en DVD. C’était vraiment très bizarre, cette demi-heure de recherches l’autre soir, comme un bond de douze années en arrière dans le temps.

 

Sur une note plus légère, j’espérais profiter de cette entrée pour annoncer la mise en ligne sur mon site d’une nouvelle très courte, « Emily », parue en mai dans le supplément spécial Imaginales de La Liberté de l’Est et de L’Est Républicain, mais je dois remettre à plus tard pour cause de bug dû au changement de serveur de nooSFere (qui héberge mon site). Les petits gars de nooSFere ont fait un sacré boulot et le nouveau site est d’une rapidité impressionnante comparée à l’ancien, mais il reste quelques petits accrocs. Dès que c’est réparé, je m’occupe de la mise en ligne de la nouvelle.

 

Et sinon, Tom Waits au Grand Rex, c’est dans trois jours.

 

  

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