Je ne sais plus à quand remonte ma dernière incursion au cinéma, mais je me rappelle qu’une bande-annonce m’avait marquée. Une famille s’installe dans un nouveau quartier ; l’un des enfants fait connaissance avec ses voisins et se présente sous le nom de Michaël. Mais dans l’extrait suivant, on entend sa mère l’appeler Laure. Jusque là, on n’a pas mis en doute un seul instant le fait que « Michaël » soit un petit garçon. Tout le film est déjà là, dans cet enchaînement de quelques secondes. Tomboy de Céline Sciamma est un film un peu longuet dans sa première partie, qui installe les personnages à travers une suite de scènes de vie ordinaire. Les rapports entre les enfants, la complicité qui unit Laure à sa petite sœur Jeanne, les jeux de la bande de gamins sonnent juste tout du long. Ils ont un langage à eux, une logique particulière, qui ne sont pas ceux des adultes, ce que le film montre très bien.
Mais ces scènes ordinaires ne le sont pas tant que ça, et c’est là que Tomboy est troublant. On vit toute cette histoire du point de vue de Laure/Michaël, dont le mensonge peut être découvert à chaque instant. Les garçons acceptent sans trop de mal ce nouveau copain de jeux, et Lisa, la seule fille de son âge, s’attache très vite à ce garçon qu’elle trouve « pas comme les autres ». Plus le mensonge s’éternise, plus on sait que la chute sera rude – les vingt dernières minutes, d’une cruauté dépouillée, sont extrêmement poignantes. Elles le sont d’autant plus qu’on accepte finalement dès le départ l’existence de Michaël comme son identité véritable. C’est Laure qui ressemble à un masque. Zoé Héran, qui incarne le personnage, est stupéfiante. On ne sait jamais trop si l’on voit à l’écran une petite fille habillée en garçon, ou un petit garçon aux traits un peu féminins.
Le film ne plaira certainement pas à tout le monde, ne serait-ce que par ce parti pris de s’attarder sur le quotidien dans la première partie sans développer d’intrigue autre que ce qui découle de ce jeu de masques. Mais il y a dans la plupart des scènes une très belle façon de filmer les êtres de près, de s’attarder sur les corps et les visages. Et le personnage de Laure/Michaël est poignant dans sa quête d’identité. Au point qu’il continue d’exister, et de nous hanter, après la fin du film.