Il va m’être très difficile de parler de Silent Hill 2 sans recourir aux superlatifs. C’est tout simplement l’un des jeux les plus impressionnants auxquels il m’ait été donné de jouer. J’avais déjà parlé ici il y a quelques mois de ma fascination de longue date pour Silent Hill, auquel je n’ai joué pour la première fois que tout récemment. Tout me soufflait que ce jeu-là serait mon jeu. L’expérience du premier épisode me l’avait confirmé, mais ce Silent Hill 2 me le prouve d’une toute autre manière.
Comme je l’ai donc déjà dit en ces lieux, toute personne s’intéressant au fantastique et à la mise en scène de la peur se doit d’explorer au moins une fois les rues de Silent Hill. Mais j’ajouterais que toute personne qui s’intéresse comme moi à la dimension psychanalytique du fantastique doit absolument jouer à Silent Hill 2. Je n’ai jamais vu de jeu qui creuse ce sillon-là de manière aussi habile, aussi subtile, et j’irais jusqu’à dire aussi courageuse : voilà un jeu qui sait faire confiance à l’intelligence du joueur et à sa capacité à lire entre les lignes. Le premier Silent Hill était déjà une expérience marquante et parfois dérangeante, mais il l’était de manière plus frontale. Dans Silent Hill 2, les moments les plus forts jouent finalement beaucoup sur les sous-entendus et sur une imagerie qui titille l’inconscient.
Dans ce deuxième épisode, on incarne un jeune veuf, James Sunderland, dont l’épouse Mary est morte de maladie trois ans plus tôt. James reçoit pourtant une lettre écrite par Mary, qui semble l’appeler à Silent Hill où ils avaient passé des vacances heureuses. Mais au lieu de la ville balnéaire tranquille de ses souvenirs, James trouve une ville déserte et délabrée, noyée dans la brume et peuplée de monstres informes. Il y rencontre des personnages tous plus paumés et torturés les uns que les autres, et notamment l’intrigante Maria, sosie absolu de Mary, qui insiste pour l’accompagner.
Le premier aspect fascinant de Silent Hill 2, c’est de ne pas être une suite directe du premier, et d’ouvrir ainsi la porte à pas mal d’interprétations. On croyait savoir plus ou moins à quel moment Silent Hill était devenue cette ville hantée – mais on redécouvre ici une ville différente, dont la géographie n’est plus la même, et qui ressemble à une projection de l’espace mental des personnages qui s’y égarent (ce qui n’est pas incompatible avec les hypothèses du premier jeu, mais là, c’est moi qui m’égare). Et c’est précisément là que le jeu frappe très fort. Plus qu’une intrigue linéaire, c’est une suite de thèmes que tisse le scénario. Un schéma se dégage en particulier : tous les personnages que l’on croise portent un fardeau, un lourd secret, ou ont un meurtre sur la conscience. Les messages que l’on découvre ça et là sur les murs ou dans l’hôpital renvoient à des histoires semblables. Et le monstre le plus marquant du jeu, resté pour pas mal de gens la figure emblématique de la série, est une créature terrifiante aux allures de bourreau, coiffé d’un casque métallique en forme de pyramide et armé d’un long couteau. Très vite, on s’interroge sur les raisons réelles qui rappellent James à Silent Hill. Comme si la ville et les gens et monstres qu’il y croise cherchaient à lui transmettre un message qu’il comprendra progressivement.
Par certains aspects, le scénario m’a rappelé Les Autres (en tout cas la façon dont j’avais perçu le film à la deuxième vision, où il prend un tout autre sens). Par d’autres, les ambiances de David Lynch – voir ce complexe d’appartements où l’on trouve une chambre vide envahie de papillons, et une autre où un cadavre regarde un téléviseur éteint – ou encore l’imagerie organique malsaine d’un Clive Barker. Une scène, à ce sujet, m’a particulièrement marquée. Chacun des personnages que l’on croise affronte ses propres démons ; pour l’un d’entre eux, il s’agit d’un inceste. Aux deux tiers du jeu, on affronte une créature représentant ce père incestueux. C’est peut-être la scène la plus dérangeante que j’aie jamais vue dans un jeu vidéo. Rien n’est dit ouvertement, mais tout ce qui est suggéré est extrêmement clair et fort. L’aspect visuel de ce monstre informe, mais aussi de la pièce aux murs quasi organiques percés de rangées de trous, ressemble à ce que pourrait être la symbolique de cet inceste vue dans un cauchemar dont on se réveille en sursaut sans bien comprendre pourquoi. Il y a quelque chose, dans cette scène et tout ce qu’elle suggère en peu d’effets, qui vous prend réellement aux tripes, comme un rêve qui va puiser très profondément dans votre inconscient. En comparaison, la dernière partie du jeu m’a presque paru fade, tant cette scène-là était puissante. Elle est d’ailleurs assez représentative de ce que Silent Hill 2 apporte par rapport à son prédécesseur : les monstres du premier jeu, chiens écorchés ou insectes géants, n’étaient pas toujours très convaincants, même s’ils s’inscrivaient dans une certaine logique (un imaginaire enfantin qui trouvait son explication dans l’intrigue). Ceux de Silent Hill 2 – créatures informes, mannequins sans tête constitués de deux paires de jambes – ont quelque chose de beaucoup plus suggestif et dérangeant, et semblent renvoyer indirectement aux démons (figurés, ceux-là) qui hantent James.
J’aurais pu parler aussi de la bande-son toujours aussi travaillée, presque un personnage à part entière : les bruits de fond distordus, les thèmes musicaux, le célèbre grésillement de la radio qui annonce l’approche des monstres… Tous ces sons qui représentent le pouls, la vie propre de cette ville fantôme. Si j’avais un reproche à formuler, ce serait le caractère assez répétitif du gameplay : trop d’allers-retours dans des couloirs pour aller chercher des clés ou des munitions, et certains passages évoquent un peu trop un copier/coller du premier épisode (les bâtiments à explorer – hôpital, hôtel, etc – se ressemblent trop). Et une autre remarque, plus personnelle celle-là : l’aspect que prend la Silent Hill parallèle est beaucoup moins terrifiant dans sa version nocturne que dans la version « métallique » du premier épisode : ne pas savoir pourquoi, soudain, la ville n’était plus composée que de grillages rouillés avait quelque chose de franchement effrayant. Mais ce sont des reproches mineurs au regard de la puissance et de l’intelligence du jeu dans son ensemble. Si vous aimez le fantastique aussi profondément que je l’aime, dans sa capacité à fouiller la psyché de personnages torturés et à créer une véritable poésie de l’effroi, je ne peux que vous conseiller de vous aventurer à Silent Hill. Je crois qu’ensuite, on n’en revient jamais vraiment. Quelques mois après avoir fini le premier jeu, son introduction, son thème musical et son intrigante première phrase continuent à me hanter.
En attendant d’explorer les autres jeux de la série, je m’apprête à revoir le film de Christophe Gans, adapté du premier épisode avec quelques emprunts au deuxième. Il m’avait déjà pas mal énervée quand je l’avais vu sans connaître les jeux, et je crois qu’une deuxième vision n’arrangera rien. Je sais que le scénario bancal me fera pester , je sais que je serai très énervée de voir Jodelle Ferland incarner aussi mal deux figures aussi essentielles – j’ai une fascination trop grande pour la figure tragique d’Alessa Gillespie pour supporter qu’on la transpose aussi mal à l’écran. Malgré tout, l’exercice m’intéresse, et je serai curieuse de revoir certaines scènes à présent que je sais d’où elles viennent (je pense notamment à une scène qui implique l’infirmière Lisa, un de mes personnages préférés du premier jeu).
Et ensuite, je reviendrai sans doute en reparler ici.
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