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Les eaux de Silent Hill

 

Avant toute chose, pour ceux qui prendraient la saga en cours de route, j’ai déjà détaillé ici en quatre parties distinctes ma rencontre/coup de foudre pour la série des jeux Silent Hill qui sont, tout simplement, l’une des œuvres fantastiques les plus riches et les plus impressionnantes que j’ai découvertes ces dernières années. Pour ceux qui le souhaiteraient, se reporter donc aux billets consacrés à Silent Hill, Silent Hill 2 (attention chef-d’œuvre), Silent Hill 3 et Silent Hill : The Room.

Pour avoir souvent entendu dire que le dernier bon jeu de la série était The Room et que les trois suivants tombaient de plus en plus bas, j’attendais ce Downpour, huitième jeu de la série, avec une appréhension mêlée d’un soupçon d’espoir. D’autant que les premiers comptes-rendus étaient plutôt élogieux. À ma grande surprise, j’ai presque retrouvé le même plaisir de jeu qu’avec les trois premiers. Nettement plus en tout cas qu’avec The Room qui était certes plus original, mais plombé par des longueurs pénibles et un gameplay assez peu pratique.

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On incarne cette fois Murphy Pendleton, repris de justice qui réchappe d’un accident de car lors d’un transfert vers une nouvelle prison. Il se retrouve aux abords d’une ville déserte, noyée dans la brume et peuplée de monstres qui se déchaînent lorsque l’orage éclate – vous aurez bien entendu reconnu la riante bourgade de Silent Hill. Laquelle incarne, une fois de plus, une sorte de purgatoire où échouent des âmes perdues qui en ont lourd sur la conscience et refusent de regarder leur passé en face. Murphy, d’emblée, nous est plutôt présenté comme un brave type. Or, la première scène du jeu le montre en train de tuer un autre détenu à coups de couteau dans les douches de la prison avec la complicité d’un surveillant. On devine très tôt qu’il s’agit d’un personnage que des circonstances dramatiques et complexes auront poussé sur la voie du crime, et il faudra tout le déroulement du jeu pour découvrir de quelle manière. En ce sens, le scénario de Downpour rappelle beaucoup celui de Silent Hill 2 : les deux jeux sont des variations sur le remords, la culpabilité et un passé lourd à assumer, même si la faute de Murphy est très différente de celle de James Sunderland.

En cherchant vraiment la petite bête, on pourrait reprocher à Downpour de lorgner un peu trop vers ses glorieux aînés. Notamment, donc, au niveau du scénario. Mais de mon point de vue, c’est justement une grande partie du plaisir, d’autant qu’on a beaucoup reproché aux jeux précédents d’avoir trahi l’esprit initial de la série. Dans Downpour, l’esprit est là, sans doute possible. On retrouve cette ambiance lourde et moite, ces personnages torturés, cette attention aux moindres détails, cette symbolique fantastique dont la richesse impressionne et dont l’esthétique prend aux tripes. La ville, comme toujours, est le reflet de l’espace mental d’un personnage. Ici, elle développe d’innombrables variations autour du thème de l’eau, dont on devine très vite qu’elle représente pour Murphy l’écho d’un drame passé. Ce qui donne lieu à un certain nombre de scènes qui sont autant de fulgurances poétiques (pour peu qu’on accepte de trouver une certaine poésie dans une esthétique horrifique à la Clive Barker). Voir ces scènes magnifiques de la dernière partie du jeu où Murphy se déplace dans des pièces inondées où les reflets ont leur propre logique, et qu’il peut retourner dans un sens ou dans l’autre en actionnant des vannes.

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De manière générale, un soin particulier a été apporté à l’esthétique de « l’autre monde », cette version parallèle et infernale de Silent Hill dans laquelle basculent régulièrement les personnages des jeux, et qui possède dans chacun une esthétique différente. Dans le premier jeu, des surfaces métalliques rouillées. Dans le troisième, des murs animés de palpitations quasi organiques. Ici, l’autre monde est un amalgame d’influences allant de Bosch aux illusions d’Escher et qui provoque un authentique malaise, une impression de profonde anomalie. On passe assez peu de temps dans cet autre monde (à peine une heure et demie pour moi sur treize heures de jeu) mais ce sont des séquences impressionnantes. Parfois un peu trop orientées action à mon goût : on s’y fait pourchasser par une lumière rouge dans d’interminables couloirs qui se transforment sous nos yeux. Mais il faut reconnaître que ces séquences sont mémorables par leur ambiance, et réellement déconcertantes lorsqu’on les découvre au début du jeu. À l’instar de cet escalier infini où j’ai couru un bon quart d’heure avant de comprendre qu’il suffisait de rebrousser chemin et de rouvrir la porte qu’on venait de franchir pour découvrir un nouveau décor.

Pour le reste, l’exploration de la ville elle-même est plus classique au premier abord. Un peu longuette dans sa première heure, mais c’est le cas de tous les jeux de la série. Une nouveauté propre à Downpour consiste à permettre une exploration plus libre de la ville, là où les premiers jeux étaient très dirigistes. Ce qui me semble une bonne idée dans l’absolu, moins dans la pratique : on se perd si facilement dans les rues brumeuses de Silent Hill, et on stresse tellement les trois quarts du temps, que j’ai tendance à foncer le plus vite possible là où me mène le scénario. Cela dit, il y a de fort belles choses dans les quêtes secondaires que j’ai pu voir. Notamment celle qui se déroule dans un vieux cinéma où il faut diffuser plusieurs bobines et entrer littéralement à l’intérieur des films pour y accomplir certaines actions. Pour la petite histoire, aux rues historiques baptisées d’après des écrivains d’horreur vient désormais s’ajouter un « Brite Street » qui m’a fait sourire – sans parler du pénitencier Overlook et du quartier de Chastain Heights qui fleurent bon les clins d’œil à Stephen King.

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Silent Hill : Downpour me laisse le sentiment d’un jeu un peu hybride qui cherche un équilibre entre le respect des classiques d’origine (les innombrables heures passées à explorer des bâtiments déserts et à résoudre des énigmes, mon aspect préféré du jeu) et des innovations plus ou moins réussies (les incursions dans l’autre monde, les quêtes secondaires, la lampe torche UV qui permet de découvrir des indices). Et qui multiplie par moments les références à ses aînés, comme ce juke-box qui diffuse le thème à la mandoline du premier jeu lorsqu’on y introduit une pièce. De ce fait, Downpour n’est jamais répétitif et se montre même souvent remarquablement inventif. Et si la partie « normale » de la ville est sensiblement plus calme que dans les jeux précédents, il y a un vrai frisson à voir le décor se dissoudre sous nos yeux et à anticiper le basculement tant redouté dans l’autre monde. Le jeu, en tout cas, respecte pleinement l’esprit de la série dans son approche symbolique du fantastique – même si j’ai quelques doutes sur certains motifs récurrents qui ne me semblent pas justifiés à contrario par le déroulement de l’histoire. On y retrouve cette sensation particulière qu’offraient les premiers jeux, entre profond malaise et vrais moments d’émerveillement. Il y a dans les rues de Silent Hill une forme de poésie morbide que je crois bien n’avoir jamais croisée ailleurs. Et tout esprit critique mis à part, j’ai pris ici un plaisir de jeu quasiment équivalent à celui que m’avaient procuré les trois premiers. Pour une série dont je croyais ne plus rien devoir attendre, c’est déjà énorme.

 

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