J’imagine que tous les gens se passionnant pour l’une ou l’autre forme d’art ou d’expression ont connu ça un jour : fantasmer des années sur un livre/film/album/etc sans pouvoir y accéder, au point qu’il nourrit indirectement notre imaginaire. En matière de séries, j’ai rêvé des années de Twin Peaks (depuis sa toute première diffusion, en fait) avant de pouvoir enfin m’y plonger. Du côté des jeux vidéo, il y en avait un qui m’intriguait depuis une bonne dizaine d’années. Depuis le jour où j’étais tombée sur un article décrivant un jeu d’aventure dans lequel un père recherchait sa petite fille dans une ville envahie par la brume et peuplée de monstres, j’avais eu l’intuition que Silent Hill était pour moi. Tout ce que j’avais entendu par la suite avait renforcé mon envie de voir ce jeu : la « mythologie Silent Hill » dont parlent les fans, sa réputation de jeu le plus flippant de l’histoire du jeu vidéo, la sortie du film de Christophe Gans qui ne m’avait pas totalement convaincue malgré de très belles scènes, mais qui m’avait poussée à me renseigner sur le scénario du jeu d’origine. Au fil des années, la série Silent Hill devenait un classique et je croyais bêtement qu’il était trop tard pour découvrir l’original sur les machines actuelles.
Quand j’ai appris tout récemment que les jeux de la première Playstation étaient compatibles avec la PS3, quel a été à votre avis mon premier réflexe ?
Le jeu est entré chez moi depuis deux jours. Je vous passe la grosse bouffée d’émotion en le lançant pour la première fois, sur l’air de « Non, c’est pas possible, je vais vraiment jouer à Silent Hill ? » Deux constatations dès les premières minutes : les graphismes ont vieilli – et la bande-son est grandiose. Une des plus travaillées que j’aie jamais entendu dans un jeu. Au bout de dix minutes, je comprenais déjà pourquoi ce jeu avait marqué les esprits. Ce n’est pas tant le déroulement de l’intrigue, qui reste un jeu d’aventure assez classique (visiter tel endroit, prendre tel objet, l’utiliser pour telle action), que l’ambiance et la mise en scène. J’avoue avoir bondi d’un mètre au-dessus du canapé au tout début du jeu, quand Harry Mason explore une ruelle obscure muni d’une simple torche, et que le premier monstre lui saute dessus sans prévenir. Quatre ou cinq heures de jeu plus tard, je n’ai pas connu d’autres grosses trouilles du même genre, mais il faut reconnaître qu’on joue à Silent Hill dans un état de tension constante qui est suscité avec une subtilité impressionnante. Ce ne sont pas les monstres qui font peur ; ils sont plus pitoyables qu’autre chose, surtout ces chiens écorchés qui hantent les rues et qu’on prendrait presque en pitié. C’est l’impression d’anomalie constante qui habite les lieux : les rues désertes et noyées dans la brume, qui s’interrompent parfois pour ne déboucher que sur du vide ; les fauteuils roulants et autres objets médicaux abandonnés dans les recoins ; l’étrangeté du décor fantôme dans lequel on bascule en visitant l’école de Midwich : une autre école dont le plan est identique, mais où les murs sont grillagés, où les pièces ont des murs sales couverts de rouille et de sang, où des chaînes pendent au plafond – on se croirait chez Clive Barker. S’y ajoute une bande-son magnifique et vraiment effrayante, entre les bruitages d’ambiance oppressants, le grincement des portes, et cette radio qui émet des grésillements crispants chaque fois qu’un monstre approche. L’idée de la radio m’a rappelé Aliens auquel je jouais sur Amstrad, un jeu assez moyen mais bien flippant lui aussi grâce au « bip bip » strident qui retentissait en présence de chaque Alien, et qui nous annonçait qu’il nous restait quelques secondes pour le trouver avant qu’il ne nous trouve.
Pour moi qui m’intéresse au fantastique, à son imagerie et à la manière de le mettre en scène, Silent Hill est particulièrement impressionnant à cet égard : il a une identité visuelle très forte, malgré des graphismes assez limités, et la travail sur le son est particulièrement subtil. Les scénaristes se sont d’ailleurs amusés à baptiser les rues d’après des auteurs classiques du genre : Bradbury, Bloch, Levin, Bachman… Un peu plus loin, une autre référence m’a fait sourire, musicale celle-là : une liste de professeurs mentionnant les noms « Ranaldo, Moore, Gordon ». Visiblement, des fans de Sonic Youth sont passés par là.
À l’heure qu’il est, j’ai survécu à l’épreuve de l’école (non sans avoir rejoué dix fois le même passage avec une jauge de vie dans le rouge, plus de munitions, et des couloirs que je traversais dans le noir pour éviter les monstres). J’ai tué le monstre du sous-sol, retrouvé la lumière du jour, rencontré Dahlia Gillespie dans l’église. Je ne vais plus tarder à visiter l’hôpital. J’appréhende un peu d’y retourner. Ce n’est vraiment pas un jeu confortable à jouer, mais c’est ce qui fait sa force. Je suis heureuse qu’il ne m’ait pas déçue. J’aime découvrir un jeu qui ne se contente pas d’être distrayant, mais qui offre un véritable travail de création. Et qui rappelle que le jeu vidéo, à sa façon, est lui aussi une forme d’art.
Et pendant ce temps, chaque semaine apporte de petites et grandes joies. Des rencontres scolaires ; une nouvelle qui semble se débloquer pour de bon et que je devrais bientôt pouvoir écrire ; une très belle critique de Notre-Dame-aux-Écailles par Serge Lehman dans Le Monde, qui fait de ce recueil une lecture qui m’a beaucoup touchée. Et vendredi prochain, le 4 février, une journée à Hérouville-Saint-Clair, près de Caen, pour diverses rencontres avec des lycéens et des lecteurs. Une rencontre publique aura lieu à 19h à la bibliothèque. L’organisation est particulièrement efficace et enthousiaste, le programme alléchant, la journée devrait en valoir la peine.