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Savannah, dix bougies

Il y a dix ans aujourd’hui, le 4 avril 2009, une jeune minette de la banlieue parisienne, en vacances sur l’île de Ré, y donnait naissance à une portée de chatons. Près de trois mois plus tard, l’une des femelles atterrissait chez moi par le biais d’une petite annonce, dans un appartement où je venais de m’installer et où je n’ai pratiquement jamais vécu sans elle. J’ai essayé des noms comme on jette un spaghetti contre un mur pour vérifier sa cuisson, jusqu’à trouver celui qui collait : elle a choisi de s’appeler Savannah, comme la petite sorcière des romans de Kelley Armstrong que je traduisais à l’époque (quoiqu’elle réponde tout aussi efficacement quand je l’appelle « chat »).

La première nuit, cette chose minuscule que je pouvais encore soulever d’une main est venue se coller contre mon bras en ronronnant de trouille. Je lui ai fait alors la promesse de toujours bien m’occuper d’elle. Notre premier véritable échange eut lieu le lendemain soir, alors que je venais de la faire jouer avec une plume et qu’elle accourait depuis la pièce voisine pour trépigner devant moi en réclamant d’un miaulement muet : « On retourne jouer, hein, dis ? » Sa voix devait muer deux ou trois semaines plus tard, tout étonnée de produire soudain un son tremblant et mal assuré.

Dix ans plus tard, elle a pris de la masse, un peu plus de quatre kilos, et sa robe bâtarde est devenue encore plus belle – je n’ai jamais connu d’autre chat qui ait les poils aussi doux que la fourrure blanche qui lui recouvre le ventre et le menton. Elle est devenue râleuse, trouillarde et asociale, et me ressemble à un degré qui m’effraie parfois. Elle m’a tenu compagnie à travers deux burn out, un coming out, la parution de deux livres et la traduction de tout Brandon Sanderson, dont elle relit les épreuves d’un flanc très concentré. Je lui ai consacré un poème, quelques centaines de photos, et elle est apparue en couverture de l’édition chinoise d’un livre d’illustrations d’Amandine Labarre consacré aux chats. L’an dernier, j’ai eu très peur de la perdre et l’intensité de l’amour que j’éprouve pour cette bête m’a terrassée.

J’ai appris pas mal de choses en dix ans. J’ai appris à traduire dix sortes de miaulements différents, de « Attention, tu me fais mal » à « Viens jouer à cache-cache, tu me trouveras dans la chambre entre deux oreillers. » Appris quel bruit fait un chat qui râle, quelle force insensée ont ses mâchoires quand elles se referment sur votre poignet, appris à tenir un tatouage hors de sa portée pendant qu’il cicatrise. J’ai appris qu’une morsure qui s’infecte, au bout d’une heure, ressemble très exactement à celle d’un vampire – je regrette encore de ne pas avoir pris de photo. J’ai appris à lui parler derrière son dos avec la bonne intonation pour faire pivoter une oreille sans qu’elle ne tourne entièrement la tête, comment la regarder en clignant des yeux pour qu’elle m’imite d’un air nonchalant, et quels pulls de laine porter pour m’assurer qu’elle vienne ronronner sur mes genoux pendant un film ou une série.

J’ai appris, surtout, que je ne pourrai plus vivre sans chat. Depuis dix ans, elle est mon territoire et je suis le sien.

À nos prochaines années, ma douce. Merci infiniment pour ces dix premières.

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