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Blackwell ou les fantômes de la solitude urbaine

blackwell2C’est au cours de mon exploration du domaine des point’n click à thématique fantastique que j’ai découvert The Blackwell Legacy et ses suites : une série de cinq jeux qui ne paient pas de mine au premier abord mais laissent une empreinte durable sur le joueur. Les graphismes sommaires et le gameplay classique commencent par laisser l’impression d’un jeu anecdotique quoique très agréable ; mais à mesure que l’intrigue progresse, on comprend qu’on se trouve face à une série possédant une réelle sensibilité et un vrai sens du récit.

À la mort de la tante qui l’a élevée, Rosangela Blackwell hérite d’un encombrant cadeau, un esprit nommé Joey, à l’humour pince-sans-rire et à la dégaine de détective privé façon Bogart, qui ne la lâche pas d’une semelle. Comme d’autres femmes de sa famille avant elle, Rosa n’a d’autre choix que d’accepter la mission qui est désormais la sienne : en compagnie de Joey, elle traque les fantômes perdus dans New York afin de les libérer en leur faisant prendre conscience de leur propre mort. Une mission qui va donner un sens à sa vie jusque-là très solitaire, mais qui n’est pas sans prix ; c’est ce même don qui a coûté à sa tante sa santé mentale.

Là où la série Blackwell pèche au niveau du graphisme (encore que ce côté « old school » soit finalement assez agréable), elle compense par la finesse de l’écriture mais aussi de l’interprétation. Les acteurs qui prêtent leur voix aux personnages sont tous très bons, avec une mention spéciale pour le duo Rosa/Joey dont les dialogues savoureux sont pour beaucoup dans le charme de la série. Dialogues souvent très vivants et remplis d’humour, même lorsqu’ils masquent une réalité plus mélancolique ; dans l’un des premiers jeux, on sourit lorsque Rosa, qui vient de prendre sa toute première cuite lors d’un vernissage, se voit rappeler ses « exploits » le lendemain par chaque personnage qu’elle croise. C’est une série qui, en filigrane, parle beaucoup de solitude. Celle des vivants perdus dans l’immensité new-yorkaise qui ne parviennent ni à y trouver leur place ni à accomplir leurs rêves, mais aussi celle des morts qu’il faudra, à force de persuasion, faire sortir du déni. L’un des aspects les plus poignants du jeu est ce gimmick subtil chaque fois qu’un fantôme prend conscience de sa nature : quelques secondes de silence suivies par un « Oh » lourd de sens.

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Le gameplay inventif permet d’alterner entre les deux personnages, Joey ayant accès à tous les lieux de par sa nature de fantôme là où Rosa est la seule à pouvoir agir sur les objets. Les cinq jeux sont courts, relativement faciles et vite pliés, et nécessitent d’être joués dans l’ordre, bien qu’ils présentent des intrigues a priori indépendantes : on y voit peu à peu l’univers s’affiner, les personnages apprendre à se connaître. L’appartement de Rosangela se remplit de souvenirs de ses enquêtes précédentes, les personnages secondaires d’un jeu reviennent dans les suivants, leur rôle dans le tableau d’ensemble se précise. Le deuxième jeu, Blackwell Unbound, se présente même comme une parenthèse dans le récit puisqu’on y incarne Lauren Blackwell, la tante de Rosa, du temps de sa jeunesse, alors qu’elle-même enquêtait aux côtés de Joey. Outre la mythologie propre qu’il développe, le jeu puise aussi dans le folklore new-yorkais, notamment à travers des figures réelles comme l’excentrique Joe Gould.

Le dernier jeu, The Blackwell Epiphany, tranche légèrement par sa longueur, mais aussi par la densité de l’intrigue. C’est là que tous les éléments se rejoignent pour une conclusion en apothéose, par les évènements du final comme par les émotions qu’il réveille. La fin est douce-amère, plus amère que douce d’ailleurs, mais très belle et bien plus poignante que le tout début de la série ne l’aurait laissé attendre. La boucle est bouclée, le voyage n’a pas laissé les personnages indemnes, le joueur pas tout à fait non plus, mais l’aventure a été belle. La série Blackwell est de ces jeux façon Tardis, plus grands à l’intérieur qu’à l’extérieur, qui valent presque autant pour les souvenirs qu’ils vous laissent après coup que pour le plaisir qu’ils procurent en cours de route. Une très jolie découverte.

 

 

 

 

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Der Samurai

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En avril dernier, je participais au festival Mauvais Genre en tant que membre du jury où je faisais la connaissance du cinéaste allemand Till Kleinert, dont le film Der Samurai avait remporté le grand prix lors de l’édition 2014. Pour avoir beaucoup discuté de films ou de jeux vidéo avec Till, dont le point de vue sur les films en compétition rejoignait souvent le mien, j’étais très curieuse de découvrir son univers et son travail. Ce fut chose faite dès mon retour du festival où je m’empressai de regarder Der Samurai, encore inédit en France hors festivals, via un lien que Till m’avait gentiment fourni.

C’est toujours un grand plaisir, quand on a sympathisé avec quelqu’un, de découvrir non seulement qu’on n’est pas déçu par son univers, mais qu’on est même sincèrement impressionné. Der Samurai est l’un de ces films étranges qui cherchent à suivre des pulsion narratives, des envies esthétiques, des associations d’idées, plutôt que de se conformer à des codes. Selon sa sensibilité, on se fera happer totalement ou bien on restera au bord de la route. Pour ma part, j’ai trouvé le film fascinant par sa narration minimaliste, son jeu sur les sous-entendus et les symboles (Till Kleinert revendique en interview l’influence des frères Grimm), ainsi que par la présence troublante, quasi charnelle, du personnage incarné par un Pit Bukowski aux mines hallucinées : le samouraï androgyne du titre, double tordu du héros ou incarnation de ses désirs enfouis, de sa violence reniée.

Trois mois plus tard, il m’en reste des souvenirs flottants et tenaces à la fois, des images fortes et une ambiance hypnotique qu’il me tarde de retrouver sur grand écran. Der Samurai sort ce mercredi en France. Je vous renvoie à cette critique qui vous en parlera mieux que moi et vous laisse en découvrir la bande-annonce.

 

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Ethan Carter ou l’énigme d’une disparition

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Voilà un moment que je n’ai pas parlé ici de mes aventures vidéoludiques ni de ma quête du jeu fantastique parfait (forcément vouée à l’échec puisque Silent Hill 2 est déjà derrière moi). J’aurais pu évoquer ce monument de bizarrerie qu’est Catherine, ou la très jolie série formée par The Blackwell Legacy et ses suites. Mais c’est The Vanishing of Ethan Carter qui m’a donné envie de reprendre le clavier. Le joueur y incarne Paul Prospero, enquêteur de l’étrange et du surnaturel, capable de reconstituer le déroulement d’un crime à partir de visions qui surviennent lorsqu’il se trouve sur les lieux. Il est appelé à Red Creek Valley pour résoudre le mystère de la disparition d’un jeune garçon, Ethan Carter, avec lequel il a correspondu et qui savait, nous apprend Paul, beaucoup trop de choses pour son âge.

Le jeu se présente comme une lente promenade dans des paysages baignés d’une douce lumière automnale qui donne envie de s’arrêter pour admirer le décor. Paul Prospero ne croisera personne au cours de son enquête : la ville est déserte, les bâtiments abandonnés, mais hantés par le souvenir d’événements violents. Parfois, on découvre un élément pas tout à fait à sa place, un objet abandonné, une trace de sang, qui permettent au joueur, à travers des visions oniriques, de retracer les événements qui se sont déroulés dans la ville. C’est l’une des plus belles idées du jeu, aussi simple dans sa conception qu’elle est passionnante dans son exécution. On prend un grand plaisir à reconstituer la chronologie des scènes spectrales que l’on voit apparaître sur les lieux des crimes. D’autant que le jeu se targue de ne pas prendre le joueur par la main et le laisse découvrir par lui-même la marche à suivre ; la résolution de la première scène de crime procure un plaisir de jeu immense. C’est aussi à mon sens l’une des faiblesses du gameplay, car on peut facilement passer à côté d’énigmes dont la résolution est essentielle à l’intrigue, pour devoir ensuite refaire tout le chemin en sens inverse. J’avoue m’être souvent référée à la solution pour terminer le jeu, pas tant parce que je séchais sur une énigme que par peur de rater une étape cruciale.

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The Vanishing of Ethan Carter frappe aussi par son ambiance contemplative, plus mélancolique qu’effrayante, qui invite le joueur à prendre son temps. D’autant que le jeu a d’ailleurs le bon goût d’être très court : on peut le terminer sans mal en une petite semaine. Le réalisme des graphismes accentue cette impression de promenade paisible, que la menace sourde que l’on sent poindre sous la surface ne gâche jamais tout à fait. Petit à petit, on découvre le passé de ces lieux, les différents protagonistes d’un drame dont on ne comprendra réellement les enjeux que lors du dénouement. J’ai été impressionnée également par la finesse d’un scénario qui se fait passer pour moins subtil qu’il ne l’est en réalité, quitte à jouer sur des clichés qui ont parfaitement leur raison d’être. À la veille de terminer le jeu, j’aurais dit que l’intrigue était son point faible. J’ai changé d’avis en découvrant la fin belle et mélancolique à laquelle j’ai beaucoup repensé depuis, et qui éclaire sous un jour nouveau un scénario plus audacieux qu’il n’y paraît au départ.

Le jeu m’a curieusement rappelé Alan Wake, relative déception dont The Vanishing of Ethan Carter prend en quelque sorte le contrepied. Le premier se faisait passer pour plus intelligent qu’il ne l’était. Le second offre une splendide variation à partir d’éléments communs, beaucoup plus finement utilisés ici. Ils sont toutefois très différents dans leur forme : Alan Wake reposait beaucoup plus (beaucoup trop) sur l’action là où Ethan Carter est un point’n’click qui fait appel à l’intuition beaucoup plus qu’aux réflexes. Sans doute le type de gameplay qui me parle le plus, et que je compte explorer davantage (notamment à travers Gabriel Knight : Sins of The Fathers que je viens de commencer).

Sur le papier, ça semblait un jeu parfait pour moi ; sur écran, c’est une très jolie surprise, et un incontournable pour ceux qui s’intéressent comme moi aux jeux fantastiques plus axés sur la narration que sur l’action. Une belle expérience dont le souvenir continue à vous accompagner ensuite.

 

 

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De l’interdiction de s’arrêter

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Une fois n’est pas coutume, envie de recopier ici tel quel ce texte publié l’autre jour sur Facebook, sur un coup de tête, et qui semble avoir trouvé des échos chez pas mal d’autres personnes, si j’en crois le nombre de commentaires, messages et témoignages que j’ai reçus depuis. Une réflexion que je me suis souvent faite ces quinze dernières années, et qui semble de plus en plus vraie. La façon dont on “consomme” la culture à l’heure actuelle, avec la notion d’immédiateté qui l’accompagne, ne fait à mon sens qu’accentuer les choses.

Pas mal de questionnements ressortent en cette semaine doublement symbolique pour moi, entre la réduction prochaine des doses du médicament qui m’a permis de tenir debout depuis le burn-out de l’automne dernier, et l’arrivée de l’étape que j’ai tellement attendue pendant ces neuf mois : celle où je n’ai plus ni projets en attente, ni chroniques ou interviews à préparer, ni nouvelles ou articles à écrire pour une date fixe, “juste” la traduction en cours, soit le boulot qui paie les factures et auquel je vais donc réellement pouvoir me consacrer à temps plein.

Je me dis qu’il faudrait un jour écrire noir sur blanc à ce sujet, mais je trouve de plus en plus insidieux, dans les métiers de la création, l’interdiction qui nous est faite de nous arrêter. Pas seulement pour des questions financières (rappelons que les indépendants n’ont ni congés payés, ni droit au chômage), mais une idée bien ancrée dans les esprits selon laquelle un artiste doit créer tout le temps, sans exception. Le pire étant pour moi la façon dont on finit par l’intégrer, en se disant que “les autres y arrivent”, que “c’est moi qui suis incapable d’assurer”, jusqu’à ce que la corde sur laquelle on tire finisse par lâcher. Au point que je me retrouve gênée d’admettre, quand on me pose la question, que je n’ai pas écrit de nouvelles depuis “La clé de Manderley” en août dernier, avant de me rappeler qu’il y a de très bonnes raisons à ça (projets chronophages, énergie réduite et nécessité de privilégier ce qui payait les factures). Au point que je suis gênée d’avouer que je ne veux pas envisager la reprise de l’écriture avant au moins l’automne. Parce que “faire une pause”, “recharger ses batteries”, vivre un peu entre deux textes en essayant de ne pas s’épuiser, ce n’est pas une réponse recevable.

Sans doute qu’on n’est pas égaux face à l’énergie qu’on est capable d’injecter dans la création, et sans doute que j’y suis plus sensible depuis l’an dernier. Mais je songe de plus en plus qu’il y a là une forme de tabou qui peut miner autant que la précarité associée à ces métiers. Sentir qu’on passe pour une feignasse quand on cherche simplement à trouver comment avancer au mieux n’est pas toujours très agréable. Et j’aimerais sincèrement comprendre un jour pourquoi, dans l’esprit des gens, l’idée même d’une pause passe pour de la paresse ou un caprice dès lors qu’on a fait le choix d’un chemin passant par la création. Et pourquoi, à force de se faire (plus ou moins gentiment) vanner sur le sujet, on finit par y croire soi-même.

 

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Dédicaces aux corneilles

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Un point rapide sur les dernières dédicaces de la saison avant la pause estivale.

Ce samedi 21 juin, je participerai aux “Rencontres de l’imaginaire” organisées par le club Présences d’Esprit, qui se dérouleront de 14h à 18h au Dernier Bar Avant la Fin du Monde (1er et 2ème sous-sol, me souffle-t-on).

Début juillet, ce sera Japan Expo où Bragelonne aura un stand. Je serai présence le jeudi 2 de 24h à 16h en compagnie de Samantha Bailly, et le dimanche 5 de 11h à 13h avec H.V. Gavriel.

Un peu plus tard, à la rentrée, je participerai de nouveau au très chouette festival Scorfel de Lannion, dont j’ai déjà parlé ici et (26-27 septembre).

Pour plus de détails, n’hésitez pas à vous reporter à l’Agenda de la page d’accueil.

Je serai munie pour l’occasion de mon attirail de dédicaces tout neuf : cartes de visite gracieusement offertes par Bragelonne à ses auteurs, tampon encreur commandé tout spécialement à la talentueuse Amandine Labarre, auteur notamment de la superbe couverture du Porcelaine d’Estelle Faye pour n’en citer qu’une. J’en profite pour vous signaler la boutique en ligne d’Amandine où vous trouverez des cartes, bijoux, tampons et autres bibelots en édition limités fabriqués avec amour. Outre ce tampon-corneille créé pour l’occasion, j’ai également fait l’acquisition d’un autre tampon en forme de citrouille, ainsi que d’un de ses adorables petits esprits gardiens à tête de renard qui me faisaient de œil depuis un moment déjà.

 

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