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Venezia (5) : suite et fin

 

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D’autres souvenirs en vrac ?

 

Des balades en vaporetto qui me conduisaient parfois dans des lieux inattendus, volontairement ou non : l’île de Punta Sabbioni par accident au retour de Burano, ou une rue du Lido un peu sinistre à la nuit tombée, dont je me suis empressée de m’enfuir après avoir mangé dans un bar qui diffusait un match de foot et où je me sentais remarquablement peu à ma place.

 

Une osteria de Santa Croce à la carte originale, en grande partie végétarienne, où je me suis régalée d’un sublime flan épicé à la citrouille et à la ricotta affinée, puis d’une non moins sublime mousse de limoncello aux fraises.

 

Les chansons qui me traversaient la tête sans prévenir, The Dreaming de Kate Bush qui est la bande-son parfaite d’une balade nocturne dans les ruelles, ou The Slow Drug de PJ Harvey en contemplant de nuit la route de Mestre depuis les quais de Cannaregio.

 

Le fou rire piqué en entendant un accordéoniste de Burano jouer Funiculi, funicula qui me rappelait une chanson du carnaval dunkerquois.

 

 

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Le calme incroyable du quai de Sant’Elena, près des jardins de la Biennale, qui offre une vue splendide sur la place Saint-Marc depuis une étendue d’herbe et de bancs.

 

Quelques conversations en italien avec un réceptionniste ou une commerçante, juste assez longtemps pour m’étonner que les réflexes reviennent malgré le manque de pratique.

 

Et puis des quais, des ruelles, des glaces, des chocolats Baci Perugina liés à mes souvenirs d’enfance, des photos par centaines pour tenter de capturer une Venise qui ne soit pas une simple carte postale. Et qui est désormais la première ville italienne que j’aurai vue par mes yeux d’adulte.


 

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Venezia (4) : Cannaregio, le jour et la nuit

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Une des choses que j’apprécie le plus en voyage, ce n’est pas tant de visiter les lieux touristiques que de prendre ses habitudes dans une ville étrangère. Pendant ces cinq jours, j’avais mon quartier (Cannaregio), mon arrêt de vaporetto (Ferrovia), ma rue commerçante un peu plus loin (Strada Nova), mon quai où j’ai découvert trop tard un café où lire au bord de l’eau. Au bout de ce canal, un quai donnant sur la lagune et sur la route qui mène de Mestre à Venise, éclairée en pleine nuit. L’arrivée par cette route m’a furieusement rappelé le pont qui traverse le lac Pontchartrain à l’entrée de La Nouvelle-Orléans. Entre deux villes colorées bâties au bord de l’eau, la ressemblance est forte.

 

J’avais aussi mes commerces, notamment cette boutique de masques où je suis entrée le premier jour, attirée par la vitrine. À Venise, on fait très vite une indigestion de masques, de dorures, de paillettes et de verre de Murano. Mais cette vitrine-là m’avait frappée par la sobriété de certains modèles. J’y suis revenue plus tard acheter un masque en cuir représentant une feuille morte. Mais le modèle qui m’a le plus marquée, même si je ne me voyais pas l’acheter, était une splendide Méduse stylisée : un visage entouré de longs serpents de cuir vert. Peut-être le masque le plus original que j’aie vu dans tout Venise, et j’en ai vu beaucoup. Y compris le fameux masque de Guy Fawkes popularisé par V pour Vendetta et le collectif Anonymous, et qui s’invitait dans de nombreuses vitrines.

 

 

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Dans la même rue, pour m’abriter d’une averse le premier jour, je suis entrée dans une librairie qui possédait un rayon de fantasy et de bit-lit. Au milieu des traductions italiennes de Twilight et autres Trône de fer, j’ai bien ri en tombant sur Capture de Kelley Armstrong, que j’ai traduit il y a quelques années et qui est publié en Italie par les éditions Fazi. Il doit y avoir un signe, reste à savoir lequel.

 

C’est à Cannaregio que j’ai pris le plus de photos nocturnes, toujours le même quai vers lequel je revenais sans cesse. Je suis revenue y contempler la route de Mestre le dernier soir, adossée au mur de l’université déserte. Et mon regard sur les lieux n’était déjà plus le même.

 

 

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Venezia (3) : l’Île des Morts

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Chaque fois que je passais par Murano ou par le quai nord au niveau de Fondamente Nove, mon regard était attiré par le cimetière San Michele. Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de contempler dans la vraie vie L’Île des Morts de Böcklin. La ressemblance est frappante : la couleur des murs qui entourent le cimetière, les arbres hauts qui en dépassent, et l’idée même d’un cimetière sur l’eau. Après être arrivée plusieurs fois sur place après l’heure de fermeture, j’ai réussi à y entrer le dernier jour. Je ne m’étais pas rendu compte qu’il devient difficile, passé un certain âge, de visiter un cimetière comme un simple lieu touristique. On y apporte ses propres fantômes, ses propres souvenirs, surtout lorsqu’ils sont tout récents. Il a fallu par-dessus le marché que j’y croise un enterrement, et que je tombe dès mon arrivée sur l’aile où sont enterrés les enfants, avec des rangées de photos de gamins en bas âge parfois assez récentes. Ça n’a pas été une visite paisible, mais c’est sans doute le plus beau cimetière où je sois jamais entrée. Le cœur est une sorte d’immense jardin où les tombes fleuries s’alignent à perte de vue. L’endroit m’a rappelé un passage du Rossignol d’Andersen, où le rossignol trompe la Mort en chantant « le cimetière où poussent les roses blanches, où le sureau embaume, où l’herbe fraîche est arrosée par les larmes des survivants. La Mort eut la nostalgie de son jardin et se dissipa comme un froid brouillard blanc par la fenêtre. »


J’ai été étonnée, déçue et franchement agacée par le nombre de touristes que j’ai vu entrer à San Michele appareil photo en main, alors qu’une pancarte affichée sur la porte l’interdisait clairement. L’un d’eux m’a demandé de le prendre en photo, j’ai refusé. Je ne suis pourtant pas la dernière à mitrailler en voyage, mais l’endroit appelle au recueillement et j’ai trouvé choquant de le voir traité comme un simple lieu touristique. Ne serait-ce que par respect, sinon pour les morts, au moins pour les vivants dont les proches sont enterrés là.

 

 

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Venezia (2) : les chats de Burano

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Aux antipodes de ce premier soir, il y a eu Burano. On m’avait beaucoup parlé de cette île aux maisons colorées, et puis j’avais en tête la chanson de Dominique A sur Auguri, à laquelle je pensais lorsque je galérais pour trouver ce fameux « bateau qui va à Burano ». Mais je n’imaginais pas bien le festival de couleurs pétantes que sont les maisons de l’île. Dans le centre touristique, on frôle l’overdose. Là encore, il suffit de s’éloigner un peu pour trouver un calme magnifique. Plus particulièrement si l’on traverse le pont de bois qui mène à Mazzorbo, de l’autre côté : personne en vue et l’impression d’être soudain ailleurs, au fin fond d’une campagne lointaine, mais certainement pas à quarante minutes de vaporetto de Venise.


L’île de Torcello toute proche, en revanche, m’a déçue. Une route, une église, pas grand-chose d’autre, mais surtout l’impression curieuse d’y étouffer au lieu d’y trouver ce calme que j’ai cherché ensuite à Mazzorbo. J’ai préféré m’en échapper très vite pour regagner Burano et m’attarder dans un bar pour lire au bord de l’eau. La nourriture y était quelconque, mais la vue apaisante. À Burano, il y a aussi des groupes de chats qui s’approchent des touristes tout en gardant leurs distances. Je n’en ai vu aucun à Venise, mais ils sont légion dans l’herbe de Burano.

 

 

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Venezia (1) : Suspiria by night

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Pour Noël, ma sœur avait eu la bonne idée de m’offrir Portugal, la très belle BD de Pedrosa, en sachant que le propos me parlerait. La BD évoque avec une grande justesse le rapport compliqué qu’on peut entretenir avec un pays dont un de nos parents est originaire, mais où l’on n’est pas né soi-même. Elle se termine lorsque le héros entreprend de retourner au Portugal pour la première fois de sa vie d’adulte et d’y découvrir le pays sous un jour nouveau et entièrement personnel.


Quand j’ai lu Portugal, j’étais déjà en train de planifier ce qui serait mon premier séjour en Italie depuis près de vingt ans. L’idée de visiter Venise en particulier me trottait dans la tête depuis longtemps. Parce que l’idée d’une ville construite sur l’eau me fascine, parce que j’ai un peu écrit dessus sans la connaître, et parce que c’était pour moi une ville neutre : je n’y connais personne, je ne l’ai visitée qu’une fois et je n’en gardais qu’un très vague souvenir. Conditions parfaites pour refaire connaissance avec l’Italie et me la réapproprier.

 

Je partais forcément un peu à la recherche de l’Italie de mes souvenirs d’enfance. Et comme il se doit, j’y ai trouvé tout autre chose. Même si les réminiscences me tombaient parfois dessus sans prévenir : devant des marques dont j’avais oublié l’existence, une vitrine de camées aux environs du Rialto, les avis nécrologiques affichés aux murs dans les rues, ou encore au moment de commander ma première glace en italien depuis vingt ans (amarena et fiordilatte).

 

 

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Ce que j’ai trouvé à la place ? Une ville fascinante et attachante que je n’attendais pas aussi protéiforme. Selon les moments et les quartiers, Venise offre des dizaines d’ambiances différentes. Le premier jour, j’ai détesté traverser le pont du Rialto au milieu de la foule ; trois jours plus tard, j’y passais un moment tranquille et agréable aux abords du marché. Quand on se lasse de la foule des coins les plus touristiques, il suffit de s’éloigner de quelques ruelles pour se retrouver dans un labyrinthe de murs étroits reliés par des cordes à linge. On m’avait conseillé de me perdre dans les ruelles ; je n’avais pas compris que lorsqu’on s’y perd, c’est littéralement. En bonne Parisienne habituée à naviguer à l’intuition pour retomber très vite sur une artère passante ou une station de métro, je ne compte plus les moments passés à errer d’une impasse à l’autre en cherchant désespérément à rejoindre les canaux et les arrêts de vaporetto. D’où une coïncidence cocasse qui m’aura fait tomber par hasard sur une librairie française tenue par un ancien Nancéen au cœur du quartier de Castello, alors que je cherchais un moyen de regagner mon hôtel. J’en suis repartie avec un tarot de Corto Maltese et l’impression d’un moment un peu irréel.

 

En cinq jours, s’il y a une chose dont je suis ravie, c’est d’avoir évité la traditionnelle visite de la place Saint-Marc au milieu de la foule. Au lieu de quoi, sur un coup de tête, je m’y suis aventurée le premier soir. Parce que le premier vaporetto dans lequel je suis montée s’y arrêtait, et parce que je voulais voir le Pont des Soupirs mis en scène dans ma nouvelle « La Cité travestie ». Entre le nom italien du pont (Ponte dei Sospiri), l’ambiance nocturne et le souvenir d’une scène du film, je me suis retrouvée à fredonner en boucle le thème de Suspiria, avec une impression d’extase qui frôlait l’hilarité franche. Un de ces moments qu’on vit parfois quand on voyage seul et qu’on a bien du mal à expliquer ensuite. Mais je me suis rarement autant amusée en voyage que ce soir-là, sur la place Saint-Marc quasi déserte, redevenue imposante après la tombée de la nuit. On a beau savoir qu’on n’est pas le premier touriste à avoir eu cette judicieuse idée, difficile de chasser l’impression de nouer avec les lieux un lien secret et  personnel. C’était ma place Saint-Marc ce soir-là, et mon Pont des Soupirs. Lequel n’a pas trop semblé m’en vouloir pour les crimes commis par le personnage de ma nouvelle.


 

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