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"Melancholia" ou la fin du monde en huis clos.

 

 

 

Soyons clairs, s’il y a un thème qui ne me parle pas en règle générale, c’est bien celui de la fin du monde. Sans doute parce qu’il est souvent associé à un type de film catastrophe dont je ne suis pas très cliente. Mais la fin du monde en huis clos filmée par Lars Von Trier sous un titre énigmatique, c’était assez intriguant pour tenter le coup. D’autant que la bande-annonce, toute imprégnée d’une espèce de vague angoisse lancinante, m’avait fait pas mal d’effet. En sortant de la projection, je ne savais pas dans quelle mesure le film avait répondu à mes attentes, mais le moins qu’on puisse dire est qu’il m’a réconciliée avec Lars Von Trier – après avoir adoré Breaking the waves et la série The Kingdom, j’avais jeté l’éponge après la double déception de Dancer in the dark et des Idiots.

 

Drôle de film que ce Melancholia. Par sa construction, d’abord, qui juxtapose deux parties extrêmement différentes et reliées très lâchement entre elles. Dans la première, Claire (Charlotte Gainsbourg) organise le luxueux mariage de sa sœur Justine (Kirsten Dunst). Tout est calculé à la perfection, mais tout se délite peu à peu. Les mariés arrivent en retard, les rancunes familiales ressurgissent lors des discours et Justine, dépressive, commence à perdre pied, incapable de continuer à sourire et à mentir aux convives. Dans la deuxième partie, Claire et son mari John (Kiefer Sutherland) accueillent Justine qui a sombré pour de bon dans la dépression. Claire est angoissée : une planète baptisée Melancholia approche de la Terre et risque d’entrer en collision avec elle dans quelques jours à peine.

 

Peut-être qu’une partie de la fascination qu’exerce le film tient à ses ellipses frustrantes. On regrette à plusieurs reprises que certains thèmes ne soient pas exploités davantage, avant de comprendre qu’ils le sont peut-être finalement en creux. Comme par exemple le lien évasif entre ces deux parties, entre les deux thèmes du film : la dépression et la fin du monde. Deux moments où l’on cesse de jouer une comédie à la mécanique trop bien huilée, soudain devenue absurde. D’un côté, les convives du mariage qui souhaitent à Justine d’être heureuse, qui disent la trouver radieuse alors qu’elle ne l’est manifestement pas ; de l’autre, les apparences auxquelles Claire, en bonne mère de famille pragmatique, s’accroche jusque au bout… Autant de liens qu’on établit après coup, alors que leur absence nous avait un peu déçu sur le moment.

 

De la même manière, on est déstabilisé de voir le film adopter le point de vue de Claire dans la deuxième partie, alors que la première semblait poser Justine comme personnage central. Elle semblait pourtant tout indiquée pour nous faire vivre de l’intérieur la fin du monde : ce n’est pas un hasard si la planète Melancholia porte le nom du mal qui l’afflige. Il semble presque exister un lien ténu unissant Justine et cette planète. Mais l’inversion progressive des rôles rend finalement le film plus poignant. Claire voit son monde si solide vaciller à l’approche de la planète, alors que Justine qui semblait si fragile, incapable de fonctionner dans la société ordinaire des hommes, se révèle d’un calme impressionnant : elle est finalement la seule capable de regarder la mort en face.

 

Deux aspects m’ont particulièrement frappée par leur justesse, chacun associé à l’une des deux sœurs. Le premier, le plus inattendu peut-être, c’est la mise en scène de la dépression. Je parlais ici récemment de la difficulté à parler de dépression tant l’expérience est propre à chacun et impossible à partager. Mais il se passe ici quelque chose d’assez fort dans les séquences du mariage. Tout passe par de petits détails : les absences répétées de Justine, les regards lointains de Kirsten Dunst, l’éloignement progressif au sens propre comme au figuré. Je crois que tous ceux qui ont connu un jour un état dépressif reconnaîtront là quelque chose de très vrai. Le cinéaste et son actrice parviennent à montrer avec une grande subtilité la muraille qui sépare le dépressif de ceux qui l’entourent. Il faudrait être heureux, interagir avec les autres, être là tout simplement, mais les sourires sonnent faux et les silences ou les larmes prennent progressivement le dessus. Le film réussit à toucher du doigt cet état particulier ainsi qu’à montrer les tensions qu’il peut provoquer dans les interactions humaines.

 

L’autre aspect, plus attendu compte tenu du sujet, c’est la trouille absolue face à l’imminence de la fin. Cette émotion-là, c’est Charlotte Gainsbourg qui l’incarne et lui donne corps, jusqu’à la transmettre au spectateur. Comment se préparer, comment se résigner à l’impuissance, et tout simplement, comment attendre la fin quand on sait qu’elle est si proche, à cinq ou dix minutes de là ? La toute dernière partie du film est particulièrement éprouvante à cet égard. Je le disais plus haut, je n’aime pas les fins du monde, mais celle-ci est terrible – et d’autant plus terrifiante que la cause de cette fin est visible à l’œil nu en plein ciel. Melancholia n’est peut-être pas un chef-d’œuvre, mais c’est un film qui commence par vous décevoir légèrement et finit par vous secouer vraiment. Et qui appelle à une deuxième vision pour traquer à nouveau les liens indéfinissables qui en unissent les thèmes et les personnages.

 

  

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Carte postale

 

 

Je constate régulièrement que tout le monde n’associe pas le même sens aux mots « vacances ». Pour pas mal de gens, c’est lié avant tout à un changement de décor (assez loin si possible). De mon côté, j’appelle « vacances » une période d’une semaine ou plus sans travail, même si je la passe chez moi. Je ne sais toujours pas quel nom donner à ces périodes où je déplace mon bureau de traduction chez la famille ou les amis (en écrivant cette phrase, je me vois en train de replier un bureau façon maison pliable de Tex Avery pour le ranger sous une pile de vêtements au fond de ma valise). Semi-vacances ? Résidence de traduction ? Pas « vacances » en tout cas, qui sont associées pour moi au fait de pouvoir dormir tard ou glander selon l’envie du moment sans devoir se soucier des horaires.

 

 

Un concours de circonstances imprévu m’a permis cette année d’installer mon bureau pour une semaine sur l’île de Ré, dans une grande maison familiale remplie de gens de bonne compagnie. J’ai failli jouer les remplaçantes dans le cadre d’un atelier d’écriture, finalement non, mais j’ai tout de même eu la possibilité de loger sur place. L’ambiance de colonie de vacances pour adultes me rappelle d’excellents souvenirs du colloque de Cerisy il y a quelques années. Le plaisir de se caler sur le rythme d’autres personnes l’espace de quelques jours, de partager les repas, les activités, la cuisine et les tâches ménagères. Pendant que les autres écrivent, je partage mon bureau entre une chambre tranquille et un grand jardin parfois ensoleillé. Le reste du temps, tout se fait en commun. Virées à la plage, barbecue, pétanque avant l’apéro, découverte d’un glacier qui propose des parfums assez étonnants (orange/cannelle et banane flambée sont à tomber par terre), voire carrément improbables (huître et pomme de terre). Même le temps a eu le bon goût de faire coïncider deux belles journées avec les créneaux prévus pour les balades. Sans parler des moments passés à sympathiser avec les deux chats de la maison. De quoi avoir presque l’impression, finalement, d’être réellement en vacances. De quoi aider aussi un peu à digérer de mauvaises nouvelles apprises au moment du départ, parce que la vraie vie et ses tracas ne s’arrêtent pas pendant les congés, mais ceci est une autre histoire.

 

Album photos plus conséquent à venir, quand j’aurai retrouvé mon PC fixe et que je pourrai les retoucher autrement qu’à l’arrache sur mon portable.

 

Le glacier La Martinière, à La Flotte, grand bienfaiteur de l’humanité.

 

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L’Adversaire

 

 

Parfois, l’univers semble conspirer pour vous pousser vers un auteur. Vous en entendez parler depuis des années, vous avez l’intention d’y jeter un œil plus tard, vous oubliez régulièrement. Et puis soudain, en l’espace de quelques semaines, le nom revient dans trois conversations différentes, et vous voilà ferré. D’Emmanuel Carrère, on m’avait surtout conseillé La Classe de neige, dévoré d’une traite le mois dernier, et L’Adversaire consacré à l’affaire Romand. J’ignore comment quelqu’un qui aurait déjà beaucoup lu sur le sujet recevrait la lecture de ce livre. Pour moi qui n’en connaissais que très vaguement les faits, ce fut l’équivalent d’un coup de poing à l’estomac.

 

L’histoire est parfaitement invraisemblable ; mais le pire, c’est qu’elle est vraie. En 1993, Jean-Claude Romand assassine son épouse, leurs deux enfants puis ses parents avant d’essayer en vain de se donner la mort. L’enquête révèle alors que sa vie tout entière n’était qu’une imposture. On le croyait chercheur à l’OMS, gagnant confortablement sa vie ; en réalité, il avait échoué à l’examen de la deuxième année de médecine, sans jamais l’avouer à personne. Il passera les dix-huit années suivantes à s’inventer de toutes pièces une vie, un personnage, un double idéal, devenus plus réels que sa véritable identité. Une fuite en avant qui se poursuivra jusqu’à ce que la peur d’être découvert le pousse au crime.

 

L’un des aspects les plus troublants de L’Adversaire, c’est le choix que fait Emmanuel Carrère d’adopter un regard subjectif, loin de s’en tenir simplement aux faits. Il ne s’en cache pas : l’histoire de Jean-Claude Romand le hante pour des raisons personnelles. Une question, en particulier, semble l’obséder : que pouvait-il se passer dans la tête de cet homme lors des heures qu’il passait seul sur des parkings ou dans les forêts du Jura, alors que tous le croyaient parti au travail ? Difficile de rester neutre face à cette histoire. Qui n’a jamais menti, ne serait-ce que par omission, pour ne pas perdre la face ? On ne comprend que trop bien les névroses ordinaires qui ont pu pousser Romand au premier mensonge. Ce qui terrifie, c’est l’ampleur du procédé et le moment où il devient un réflexe, un art de vivre, une identité même. Dès lors, le livre ne cesse de nous bousculer ; l’auteur ne sait lui-même quel point de vue adopter face à cette affaire, comme il s’en explique tout à la fin, et son trouble se transmet au lecteur. Qui est Jean-Claude Romand, en réalité ? Un pauvre type qui commence à mentir par lâcheté et ne sait plus comment s’en dépêtrer ? Ou un terrifiant cas psychiatrique : un homme qui s’est lui-même privé de toute identité et se soucie davantage, même une fois démasqué, de l’image qu’il donne aux autres que de l’ampleur de ses crimes ?

 

Un passage en particulier m’a bouleversée, lors de la reconstitution chronologique des meurtres. Romand a tué son épouse Florence la veille au soir. Ses enfants Antoine et Caroline se lèvent, il fait comme si de rien n’était, prépare leur petit déjeuner, regarde la télé avec eux. Il sait que ce sont les derniers instants qu’il passera avec eux avant de les tuer. Le moment venu, il fait en sorte qu’ils ne comprennent pas ce qui leur arrive. Le jour du procès, il craque en évoquant la mort de Caroline. On le sent alors réellement ébranlé par ce qu’il a fait. On éprouve un mélange d’horreur et de quelque chose qui ressemble presque à de la compassion. Mais le livre, un peu plus tard, détaille le portrait établi par les psychiatres en prison. Celui d’un « grand malade », d’un quasi-robot programmé pour ne donner aux autres que ce qu’ils attendent de lui, du moment qu’il ne baisse pas dans leur estime. Que penser alors de cette crise lors du procès ? Était-il sincèrement désolé ? Ou s’agissait-il encore du mensonge pathologique d’un homme devenu incapable d’éprouver des émotions sincères ?

 

L’Adversaire s’attarde aussi sur les autres : les proches, les amis, les survivants détruits par son mensonge. On ne peut que partager le désarroi de cet ami de longue date qui apprend que son meilleur ami lui a joué la comédie pendant vingt ans, et qui commence par refuser d’y croire. Comment admettre une vérité pareille ? Et comment, ensuite, continuer à vivre et réapprendre la confiance ?

 

On referme le livre complètement sonné, hanté par des images et des questions qui refusent de nous lâcher. Qu’est-ce qui serait le plus terrifiant, en fin de compte ? Que Romand nous ressemble tellement, ou qu’il nous soit à ce point étranger ? L’Adversaire ne tranche jamais. C’est ce qui lui donne une dimension réellement vertigineuse.

 

 

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"Kafka sur le rivage" : une poésie de la solitude

 

 

 

Une parenthèse avant d’entrer dans le vif du sujet : je croyais depuis quelque temps ne plus être capable de m’immerger dans un livre, ce qui désolait la lectrice boulimique que je suis depuis l’âge de mes premiers Martine. Après avoir dévoré coup sur coup La Classe de neige d’Emmanuel Carrère puis Kafka sur le rivage de Haruki Murakami, je commence à comprendre que ça ne s’applique en fait qu’aux livres de fantasy et de science-fiction – ce qui désole la lectrice de ces genres que je suis depuis mon premier Tolkien. Ça n’a rien à voir avec la qualité des livres, ni avec une lassitude liée à la pratique intensive des genres, d’autant que je prends toujours autant de plaisir à en traduire. Disons que le jeu consistant à se projeter ailleurs m’intéresse beaucoup moins ces temps-ci que celui consistant à se projeter dans la tête des autres pour voir ce qui s’y passe, et de quelle manière ils perçoivent et ressentent le monde. Ce qu’on peut aussi trouver dans la littérature de genre, mais pas avec le même langage, et je n’ai pas spécialement d’arguments pour appuyer ce qui n’est encore qu’un vague ressenti.

 

Kafka sur le rivage, donc. Ou les trajectoires croisées de Kafka Tamura, ado de quinze ans qui fuit le toit familial pour échapper à une terrible prédiction formulée par son père ; de Nakata, simple d’esprit qui parle aux chats et s’embarque dans une étrange mission dont il ignore tout lui-même ; d’Oshima, bibliothécaire de sexe indéterminé qui recueille Kafka ; et de Mlle Saeki, propriétaire de la bibliothèque, dont la vie s’est arrêtée à vingt-et-un ans suite à une perte insurmontable. Un étrange roman où il pleut des poissons, où l’on tombe amoureux des ombres du passé, où les rêves des uns deviennent la réalité des autres, où la frontière du réalisme et de l’onirique n’est jamais bien définie. Malgré tous ces éléments, je n’arrive pas à considérer ce roman comme un ouvrage de genre, tout comme j’avais du mal à voir La Route de Cormac McCarthy comme un roman de SF. Question d’approche et de distance, sans doute : le surnaturel est ici presque accessoire. Les histoires qui s’entremêlent dans ce roman sont aussi banales qu’elles sont extraordinaires, et c’est ce qui fait leur force.

 

Je repensais en cours de lecture au reproche que certains amateurs de genres font parfois à la littérature générale, soupçonnée de raconter des histoires banales – et si c’était justement ce qu’on y recherche ? Un regard peu ordinaire porté sur le monde ordinaire, qui nous en apprenne juste un peu plus sur toutes ces choses « banales » que sont la vie, la mort, l’amour ou encore l’insondable mystère des relations humaines ? Si je devais rapprocher Kafka sur le rivage d’une autre lecture récente, ce serait curieusement Mrs Dalloway. Je sais être en partie passée à côté du roman complexe de Virginia Woolf, mais je me souviens d’y avoir cueilli au vol des phrases qui étaient autant de fulgurances, quand les états d’âme de ses personnages touchaient à quelque chose d’universel. Ces moments tellement précieux dans une vie de lecteur où l’on se dit « J’ai déjà vécu ça, c’est exactement ça ». Comme le disait Moebius dans un documentaire sur Hayao Miyazaki (je cite de mémoire) : « Le génie, c’est de décrire quelque chose qui a toujours été là, mais que personne n’avait jamais vu. » C’est peut-être cette phrase, finalement, qui décrit le mieux la rencontre qui se produit avec la prose de Murakami.

 

Qu’est-ce que Kafka sur le rivage, en fin de compte ? Un roman sur la profonde solitude des êtres humains, et tous ces vides impossibles à combler ; sur l’étincelle qu’on ranime parfois dans la vie des autres, et qui est à elle seule une raison d’avancer ; un magnifique poème onirique qui fait vibrer quelque chose d’enfoui profondément en vous ; un roman d’une absolue légèreté, d’une absolue gravité et d’une intense mélancolie. Un livre, enfin, qu’on referme au bord des larmes sans bien savoir pourquoi, avec la seule certitude d’avoir fait une rencontre importante. Le roman est à l’image de la chanson du même titre citée dans le roman, composée par Mlle Saeki avant le drame : une suite d’images obscures reliées par une logique secrète, qui semble s’adresser directement à vous sans que vous ayez les mots pour le décrire.

 

Et c’est beau, tout simplement.

 

       

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Bal populaire à Silent Hill

Je dois la découverte musicale la plus inattendue de la semaine à mes amis Michelle et Claudio, traducteurs sudistes chez qui j’ai passé quelques jours en villégiature. Un groupe de bal populaire toulousain qui fait danser le public sur une base de danses classiques (mazurkas, scottish) aussi bien que de rondes et de farandoles : sur le papier, ce n’était pas trop ma came. Quelques morceaux écoutés sur disque ne m’avaient pas totalement convaincue. La surprise n’en fut que plus belle dimanche soir, où j’ai vu Bombes 2 Bal jouer en plein air dans le village médiéval de Castelnau-de-Montmiral. J’ai toujours une légère méfiance vis-à-vis des groupes qui cherchent à impliquer activement le public : ça peut très vite sonner faux et plomber un concert. Mais rien de ça ici. C’est un spectacle populaire dans le meilleur sens du terme : convivial, festif et chaleureux, avec une vraie qualité musicale pour soutenir le tout. Le groupe a une sacrée énergie, vraiment communicative, et l’une de leurs meilleures idées consiste à laisser un couple de danseurs évoluer dans le public tout au long du spectacle pour guider les pas de danse. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas facile à faire danser – non que je n’aime pas ça, mais il faut que je tombe sur la bonne musique au bon moment, et j’ai une sainte horreur des tubes des années 80 censés faire danser les foules. Mais ce bal populaire-là est franchement irrésistible (deux jours plus tard, mes mollets s’en ressentent encore douloureusement). Si vous voyez Bombes 2 Bal passer près de chez vous un de ces jours, foncez. Sans hésiter.

 

 

 

Quelques mots sur Silent Hill 3 pour poursuivre la saga, en attendant de recevoir The Room. Plus j’avance dans la série, plus je comprends pourquoi les fans parlent d’une mythologie interne au jeu. C’est particulièrement flagrant dans Silent Hill 3 qui fait directement suite au premier et continuer à développer le mythe d’Alessa Gillespie, cette fillette dotée de pouvoirs paranormaux, brûlée vive lors d’un rituel occulte orchestré par sa propre mère, puis plongée dans un cauchemar sans fin – une figure indissociable de l’histoire de la ville et de sa monstrueuse apparence. Si le début du jeu tranche avec les précédents, grâce à des décors différents (métro, centre commercial) et à un gameplay plus souple et moins répétitif, la dernière partie nous ramène sur les pas de Harry Mason, héros du premier jeu. Sa fille adoptive Heather, ayant progressivement découvert son histoire et accepté sa propre nature, refait en partie le chemin de son père, depuis un impressionnant combat contre le souvenir d’Alessa sur un inquiétant manège, jusqu’à l’exploration d’une sinistre chapelle où réapparaissent certains lieux mythiques du premier jeu : la chambre d’enfant d’Alessa avant le drame, mais aussi sa chambre d’hôpital. J’ai été frappée, dans cette dernière partie, par l’imagerie quasi christique associée à Alessa : les décors renvoient régulièrement aux images de son martyre, depuis les murs en flammes de la chapelle jusqu’aux fauteuils roulants et lits d’hôpital abandonnés dans les endroits les plus improbables. Sans parler de cette photo d’Alessa à sept ans, la première image que l’on découvrait dans le générique du premier Silent Hill et qui prend valeur d’icône à force d’apparaître dans le jeu. Si Silent Hill 3 souffre d’un scénario un peu long à se mettre en place et ne déploie toute sa richesse que dans la dernière partie, il se caractérise par une mise en scène inventive : dans la manière de filmer les combats (celui du manège est de toute beauté), mais aussi dans l’aspect visuel des lieux les plus cauchemardesques du jeu. Vers la toute fin, j’ai traversé plus d’une fois des pièces en courant tellement la vision des murs en train de se transformer et de se dissoudre à vue d’œil était oppressante. Une magnifique vision de l’enfer, mise en scène par une équipe qui considère le jeu vidéo comme un art à part entière plus que comme un simple divertissement (il suffit de regarder le making of disponible sur Youtube pour s’en convaincre).

 

Pour vous donner un aperçu de l’ambiance, voici une des scènes les plus marquantes du jeu, par son côté totalement improbable. Je l’ai vue reprise dans la bande-annonce de Silent Hill : Revelations, l’adaptation cinématographique du jeu qui sortira l’an prochain (avec notamment Malcolm McDowell dans le rôle de l’inquiétant Leonard Wolf). Et je me prends à rêver d’une adaptation qui bénéficierait cette fois d’un véritable scénario (quoique le travail nécessaire pour raccorder le scénario du premier film avec celui du troisième jeu relève du grand écart). Je reste persuadée qu’un grand film sur Silent Hill reste à faire.

 

 

 

 

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