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Lendemain de concert, réveil difficile

À tous ceux qui estimaient que j’avais déjà beaucoup parlé ici de la musique des Dresden Dolls et d’Amanda Palmer et que ça devenait répétitif, je présente par avance mes plus plates excuses, mais vous n’en avez pas fini. Je crois que le personnage me fascine encore plus depuis l’interview d’avant-hier et le concert d’hier soir. Je me sens bizarrement un peu vide, comme souvent après un concert que j’attendais impatiemment et qui a été à la hauteur de mes espérances. Accessoirement, pour avoir pas mal lu son blog ces derniers mois, c’était bizarre de voir en vrai tous ces gens dont elle y parle à longueur de temps et que je ne connaissais qu’en photo, comme Zoë Keating et les quatre membres du Danger Ensemble.

J’ai rédigé un compte-rendu pour le Cargo, sauf que le webzine est en panne pour une durée indéterminée. Une fois n’est pas coutume, je publie donc le compte-rendu ici et je le rapatrierai le moment venu (sans doute un peu retouché). J’ai aussi posté quelques photos sur Flickr. Pour ceux qui voudraient se faire une idée plus précise de certains morceaux mentionnés ici, je vous renvoie à la série de vidéos tournée pour accompagner l’album et visible ici.

Je crois qu’il y a longtemps que je n’avais pas trouvé d’artistes avec qui je me sente autant en phase, c’est-à-dire fascinée à ce point aussi bien par la musique que par la personne qu’on devine derrière. Un peu comme le lien que je peux avoir à l’univers de PJ Harvey par exemple, dont j’admire la démarche générale autant que les albums. J’ai retrouvé un peu le même type d’ambiance au concert d’hier, comme explicité dans le compte-rendu.

Le compte-rendu, donc, avec quelques images :

Amanda Palmer, la Boule noire, 23/10/08

Quand Amanda Palmer nous avait annoncé en interview un spectacle théâtral un peu dingue, nous n’avions pas vraiment pris la mesure de ce que serait ce concert à la Boule noire, ni surtout de ce qu’apporterait la présence des quatre performers australiens formant le « Danger Ensemble« . C’était oublier le côté « artiste complète » qui est l’un des aspects les plus passionnants du personnage, pour qui la sortie d’un disque, par exemple, s’accompagne forcément d’un livre d’images en parallèle (celui de cet album solo est d’ailleurs co-signé par Neil Gaiman). Ceux qui s’attendaient hier à un véritable concert solo ont dû avoir une sacrée surprise.

 

 

On est frappés, dès notre arrivée, par l’ambiance qui règne à la Boule noire. De toute évidence, c’est un concert très attendu, par des fans de longue date autant que par des convertis récents. Certains ont traversé la France pour y assister. Il règne ce climat particulier qu’on rencontre aux concerts d’artistes qui font l’objet d’un culte similaire – on pense notamment à PJ Harvey, pour le mélange de surexcitation et de respect qu’on perçoit chez cette foule. Il faut avoir vu un public pourtant totalement surchauffé laisser PJ Harvey interpréter « To bring you my love » jusqu’à la toute dernière note dans un silence quasi religieux – c’était en 98 à la Cigale – pour comprendre pleinement ce que peut être le respect des fans vis-à-vis d’un artiste qu’ils vénèrent. On retrouve un peu de ça ici, ainsi que le sentiment d’une sorte de camaraderie unissant le public. C’est particulièrement frappant lors des premières parties, que la foule accueillera avec autant de patience que d’intérêt. Il faut dire qu’on a moins l’impression de voir des groupes catapultés sur scène par simple hasard de la programmation que des membres d’une même famille. Ou un spectacle de cirque, plutôt, dont le Monsieur Loyal serait Steven Mitchell Wright du Danger Ensemble, ce bonhomme à la bouille pas possible et à l’accent charmant qui vient à plusieurs reprises annoncer les numéros. Parmi les quatre artistes qui se succèdent pour interpréter deux ou trois morceaux chacun, plusieurs reviendront sur scène en compagnie d’Amanda Palmer. Zoë Keating qui parvient à créer une tension assez hallucinante avec ses solos de violoncelle envoûtants, et un Jason Webley déjanté qui implique le public de manière assez ludique sur une chanson où il le divise en deux parties pour lui faire interpréter d’un côté le chœur des trombones, de l’autre côté celui des violons.

 

 

Après avoir promis de revenir nous annoncer une nouvelle tragique, Steven Mitchell Wright se lance : « Amanda Fucking Palmer is dead », déclare-t-il avant d’entraîner le public à pousser des cris de tristesse et de joie mêlées. Le dernier morceau de Zoë Keating, qui conclut la première partie, est dédié à sa mémoire. Lorsque les quatre artistes du Danger Ensemble montent lentement sur scène dans une ambiance de funérailles, ils sont rejoints par une silhouette voilée qui est trahie par ses béquilles, pour ceux qui ne l’auraient pas reconnue (conséquence d’un petit accident survenu pendant la tournée). La silhouette s’installe derrière le clavier « Kurtweil » décoré de fleurs, elle se dévoile, et on reçoit comme un coup de poing les premières notes rageuses et intenses d’« Astronaut ».

 

 

Il faut avoir le sens du spectacle qui est celui d’Amanda Palmer pour réussir à offrir, malgré une jambe dans le plâtre, un concert aussi peu statique. Elle s’emballe et gesticule derrière son clavier, se fait parfois porter d’un bout à l’autre de la scène par ses partenaires et participe à la majeure partie des chorégraphies. Le tout début du concert, passé « Astronaut », est plutôt calme : un splendide « Ampersand », « Blake says », puis les choses sérieuses commencent. Elle annonce une chanson qui a failli ne pas figurer sur son album, écrite après la fusillade du lycée Columbine. Le violoniste Lyndon Chester égrène une liste de noms de victimes tandis que les membres du Danger Ensemble remontent sur scène pour y défiler lentement, mains sur la tête, déguisés en lycéens. Le moment est beau et grave, à l’image de la chanson. Surtout lorsque les quatre Australiens se laissent retomber à l’avant de la scène dans un ralenti hypnotique pour mimer la mort des victimes, le visage à trente centimètres à peine du premier rang, pendant qu’Amanda ponctue la chanson de « tick… tick… tick… » jusqu’au « boom » final et discret qui noue la gorge.

 

Le contraste avec « Guitar hero », juste après, est saisissant. On avait toujours soupçonné que ce serait une fabuleuse chanson de scène, mais le numéro visuel électrise encore davantage. Rejoints par Amanda à l’avant de la scène, les membres du Danger Ensemble chaussent de grosses lunettes noires à monture rouge et exécutent une chorégraphie rappelant le numéro de zombies de la vidéo tournée pour cette chanson. C’est l’un des premiers grands moments du concert. Le reste de la soirée ressemble à un jeu de chaises musicales où Amanda Palmer alternera les morceaux qu’elle joue seule au clavier, parfois accompagnée de Zoë Keating et de Lyndon Chester, et les numéros interprétés avec les performers australiens. Le tout avec une égale intensité. Dans la première catégorie, une splendide version de « Half Jack », et une reprise d’un morceau irlandais dont nous n’avons pas retenu les références, pendant lequel on la verra discrètement essuyer une larme qui a en passant fait couler son maquillage.

 

On prend conscience de l’impressionnant corpus de chansons qu’elle a déjà rassemblé en trois albums des Dresden Dolls et un album solo. Le répertoire se compose pour un tiers d’extraits de Who killed Amanda Palmer, pour un tiers de morceaux des Dresden Dolls, et pour un autre tiers de reprises parfois improbables. Le public accueille le tout avec un enthousiasme délirant qui a le bon goût de ne jamais sombrer dans l’hystérie. On est impressionné de l’entendre reprendre en chœur l’intégralité des paroles de « Coin-operated boy » (pendant laquelle les deux garçons du Danger Ensemble, munis de pancartes annonçant « Un bisou pour un sou », s’aventurent dans le public tandis que les deux filles les regardent s’éloigner d’un air désespéré). Mais c’est vrai que c’est irrésistible – la chanson elle-même, l’ambiance, le sentiment de connivence entre Amanda, son groupe et son public. Plus tard, tandis que les quatre Australiens, qui ne touchent pas d’argent sur cette tournée, passent quêter dans la foule, Amanda et Jason Webley interrompent en plein milieu une reprise du « grand maître zen » Bon Jovi pour débattre du sens de ses paroles.

 

On sent le spectacle devenir légèrement moins carré vers la fin. Le moment le plus improbable est sans doute le numéro de play-back sur « Umbrella », le tube R’n’B de Rihanna, sur fond de chorégraphie avec des parapluie qui se termine par une douche à la bière pour les premiers rangs. Au rappel, une superbe version du « Port d’Amsterdam » dans un français impeccable, avec Jason Webley à l’accordéon, tandis que Tora Hylands et Kat Cornwell du Danger Ensemble miment des prostituées à l’avant de la scène. Puis Jason et Amanda interprètent en duo l’« Elisa » de Gainsbourg repris en chœur par le public. Pour le dernier titre, un vote soumis à la foule – un morceau de l’album ou une reprise à l’ukulélé – fera pencher la balance vers la deuxième option. Ce sera « Creep » de Radiohead en solo, après qu’Amanda aura passé deux bonnes minutes à tenter d’accorder son instrument.

 

Après la fin du concert, les fans s’attardent, n’ont pas envie de quitter la salle. Ils savent qu’Amanda a coutume de prolonger les concerts par une séance de dédicaces. On la verra s’y prêter de bonne grâce, souriante et chaleureuse, pour signer albums et affiches et se laisser prendre en photo avec les gens. On quitte la salle ébloui, un peu étourdi en fait. Le concert est passé si vite qu’on ne remarque qu’a posteriori que peu de morceaux de l’album solo ont été interprétés. On le regrette un peu, d’autant qu’on aurait adoré vivre en live les deux tubes « Leeds United » et « Runs in the family ». Mais tel quel, c’était déjà un fabuleux spectacle dont on se souviendra longtemps.

 

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Bis repetita

Spéciale dédicace à Daylon, Epikt, rmd et au fan-club informel d’Amanda Palmer qui traîne dans le coin :

 

 

Quatre mois plus tard, on prend les mêmes et on recommence. Le Cargo (dont je ne donne pas le lien aujourd’hui vu qu’il est en panne) sera bientôt fier de vous présenter une interview vidéo d’environ un quart d’heure tournée aujourd’hui même. Moi qui étais frustrée qu’on n’ait pas pu filmer Amanda lors de l’interview précédente, vu que le personnage est assez savoureux, je suis sur un nuage. Et cette fois, j’ai pu prendre des photos.


N’ayant pas une grande habitude des interviews, j’ai trouvé assez rigolo de questionner deux fois la même personne à quatre mois d’intervalle. Ça devrait donner un résultat très différent de la première fois : entre temps, j’ai (beaucoup) écouté l’album, et on disposait d’un peu moins de temps cette fois-ci. Les questions portent de manière plus précise sur les chansons et sur la série de vidéos qui les accompagne. Du coup, les réponses sont plus brèves et s’enchaînent plus rapidement. Un fond de superstition m’empêche d’en dire plus avant d’avoir récupéré le fichier son pour réécouter et retranscrire tout ça, mais le résultat devrait être assez marrant.


Du coup, j’attends le concert de demain soir encore plus impatiemment. Détail intéressant : elle assure en ce moment tous ses concerts avec une jambe dans le plâtre suite à une rencontre malheureuse avec une voiture à Belfast, comme raconté sur son blog. Et elle affirme n’avoir quasiment rien changé à son jeu de scène depuis. Curieuse de voir ça.

 

Je vous laisse en attendant avec mon tube de ces dernières semaines. À demain, pour ceux qui seront à la Boule noire.

 


 

 

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Radio days

Cette fois-ci, je ferai vraiment bref, étant dans un état de liquéfaction avancée, ce qui a le don de faire ressortir mon schtroumpf-grognon-garou intérieur. J’ai enregistré récemment une interview en deux parties pour une émission consacrée à la science-fiction que tient Eric Vial sur Fréquence protestante. La première partie est actuellement en écoute à partir de cette page (cliquez sur « Science-fiction » comme de bien entendu) et j’y fais entre autres une lecture de ma nouvelle « Soir de noce », qui est disponible sur mon site. Dans l’émission suivante, qui sera diffuse en novembre, c’est Eric qui s’y colle pour la lecture.

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Des contes, des chansons, des images

Autant vous le dire tout de suite, cette entrée sera longue. Il y aura la partie « signatures et salons » au début (sans autoportrait, comme je n’ai pas logé à l’hôtel) et la partie musicale à la fin, avec des images et des extraits sonores.

 

Ce samedi, c’était donc le jour de la signature/lecture/spectacle avec Claude Mamier à la librairie « Au comptoir des rêves » de Reims. Claudio, je le connais depuis quelques années – on a publié nos premiers textes à peu près en même temps, à l’époque de la revue Ténèbres et de l’Oxymore et on s’est pas mal croisés à l’époque, comme il habitait Paris. Il a publié un premier recueil chez l’Oxymore (Récits des coins d’ombre) avant de partir trois ans faire le tour du monde, il est rentré en France depuis deux ans, habite désormais Albi, a publié un deuxième recueil (Les contes du vagabond) chez Malpertuis et donne régulièrement des spectacles de contes. Julien Ferré, le libraire, est un de ses amis que j’avais déjà croisé plusieurs fois et qui parlait depuis un moment d’organiser cette journée.

 

À ceux qui habitent Reims ou passent dans le coin, je conseille vivement d’aller faire un tour « Au comptoir des rêves » (6 rue du Barbâtre). Comme toute librairie spécialisée tenue par un passionné, c’est un endroit accueillant, qui l’est rendu encore plus par le décor. J’ai déjà vu des librairies qui faisaient également salon de thé, mais c’est la première fois que j’en vois une qui ait un véritable coin salon, avec des fauteuils très confortables. Quelques images pour vous donner une idée de l’ambiance.






L’après-midi commençait par une lecture d’extraits de nouvelles, suivi d’une dédicace. Le public n’a pas été très nombreux, mais c’étaient des passionnés, donc les discussions qui ont suivi les lectures ont été très chouettes. Il y avait d’ailleurs dans le public Simon Sanahujas, auteur lui aussi, qui sera en dédicace Au comptoir des rêves le 8 novembre. On s’était réparti les lectures entre Claudio, Julien et moi. Claudio a lu notamment la première partie de sa nouvelle « Musique des morts » qui m’avait pas mal marquée à l’époque de sa parution, et dont la mise en place du décor et de l’ambiance est assez frappante. Julien a lu en entier ma nouvelle « Les cinq soirs du lion ». Je pensais que le texte serait un peu confus à l’oral mais le résultat passait vraiment très bien. J’avais choisi pour ma part de lire deux extraits. J’ai adoré lire un passage tiré de « Mémoire des herbes aromatiques » : j’avais l’impression de me laisser gagner par la colère et le mépris qui sont ceux de Circé lorsqu’elle raconte à Ulysse sa version des faits, et c’était assez grisant. J’ai eu un peu plus de mal avec l’extrait de « La cité travestie », même si c’était agréable à lire.

 

Après la dédicace, Claudio a présenté un spectacle de contes adapté des écrits de Neil Gaiman : plusieurs extraits de Miroirs et fumées et de Sandman. Je l’avais déjà vu réciter des contes il y a quelques années mais j’ai été assez impressionnée samedi. Il a gagné en expérience, en assurance, il maîtrise vraiment l’espace, les mouvements, les intonations et il sait captiver l’attention du public. J’adore sa version de « Dream of a thousand cats » (extrait de Sandman) et aussi d’une nouvelle dont le titre français m’échappe mais qui s’appelait « We can make it for you wholesale » (l’histoire d’un type qui engage un exterminateur pour se débarrasser d’un gêneur, et à qui on propose des prix de gros s’il choisit plusieurs victimes).



Je crois que tout le monde, côté public, côté libraire et côté auteurs, était très content de cette après-midi. J’ai vraiment apprécié cette formule un peu particulière mélangeant contes, signatures et lectures, et il faut dire que le cadre s’y prêtait vraiment bien. Le retour a été très chouette aussi, j’ai continué à dévorer Mystic river dans le train, il y avait un rayon de soleil, j’étais un peu endormie mais contente. Une sorte de monstrueux coup de barre m’est tombé dessus au retour, mais j’ai eu quelques heures pour me poser avant de ressortir pour un concert qui a eu le bon goût de commencer à 18h30. Deux heures plus tard, j’étais rentrée chez moi, ce que j’ai particulièrement apprécié pour le coup.

 

L’an dernier, j’ai déjà consacré une entrée de blog à Suzanne Vega sur MySpace, donc veuillez m’excuser par avance si je me répète. J’ai constaté un phénomène curieux qui est que parmi les gens qui ont des goûts musicaux similaires aux miens, très peu écoutent Suzanne Vega, pour ne pas dire personne. C’est simple, je ne croise jamais de gens que je connaisse à ses concerts, ce qui est quand même inhabituel. Pourtant, ses albums ne sont pas très différents de ce que font pas mal d’artistes folk considérés comme nettement plus tendance. Je crois qu’il y a un énorme malentendu autour de sa musique. Pour certaines personnes, c’est juste une chanteuse folk un peu gnan-gnan qui ne mérite sans doute pas qu’on s’arrête sur ses albums ; pour d’autres, une chanteuse qui a fait deux tubes un peu par accident dans les années 80 avant de disparaître de la circulation (alors qu’elle sort régulièrement des albums, mais beaucoup ont cette impression). Vous avez tous déjà entendu au moins Luka et/ou le remix qui avait été fait à l’époque de Tom’s diner (morceau qui est a cappella à l’origine), et je me rappelle que Solitude standing passait pas mal à la radio quand j’étais ado. Ce qui me fait rire (jaune), c’est de songer au nombre de personnes qui ont retenu les deux premières phrases de Luka (« My name is Luka/I live on the second floor ») et qui n’ont pas la moindre idée de ce dont parle la chanson – le Luka en question est un enfant battu. Le texte est terrible, justement parce qu’il est extrêmement simple et pudique. Il y a deux passages que je trouve très forts en particulier : « Yes I think I’m ok/Walked into a door again/If you ask, that’s what I’ll say/It’s not your business anyway » et plus loin « They only hit until you cry/After that, you don’t ask why/You just don’t argue anymore ». Les arrangements ont mal vieilli, comme une grande partie du magnifique album Solitude standing, la chanson est lassante quand on l’a trop entendue, mais j’admire vraiment la force de ce texte qui n’a l’air de rien si on l’écoute distraitement.

 

Pour tout vous dire, il y assez peu d’artistes dont j’ai passé des heures à décortiquer les textes parce qu’ils me fascinaient indépendamment de la mélodie. Il y a bien évidemment Nick Cave, Paddy MacAloon de Prefab Sprout il y a déjà un certain temps, Joni Mitchell pour une poignée de chansons, tout récemment Amanda Palmer, et avant tous ces gens-là, Suzanne Vega. Je l’admire beaucoup comme musicienne, mais peut-être encore plus comme écrivain. L’an dernier, je me suis de nouveau penchée sur ses paroles après la sortie de l’album Beauty and crime, qui dit de très belles choses sur le vieillissement, le deuil, le temps qui passe, un album écrit par une femme qui voit approcher la cinquantaine et qui a connu son lot de deuils et de déceptions amoureuses. C’est là que je me suis rendu compte que ses textes me parlaient différemment selon l’âge auquel je les écoute. Je suis de plus en plus touchée par une chanson comme Gypsy qui parle d’un Anglais qu’elle a connu dans sa jeunesse et qui a été son amant, alors que je ne l’appréciais pas plus que ça vers 15/20 ans.

 

Étant d’humeur un peu larme à l’œil ce dimanche, pour des raisons qui tiennent essentiellement à un début de crève et au manque de sommeil, je savais que ses chansons feraient vibrer certaines cordes encore plus fort que d’habitude. Comprenez : je m’attendais à me mettre à chialer en plein concert, comme ça me l’avait fait l’an dernier en entendant Gypsy. Ça n’a pas raté. Non pas une fois, deux fois, mais trois fois. Il faut dire qu’elle jouait ce soir en acoustique, en duo avec un bassiste, ce qui donne un impact particulier à sa musique – j’apprécie toujours un peu moins quand elle joue en groupe, ça donne des sets assez carrés et moins surprenants, et sa voix et ses mélodies sont moins mises en avant. Donc, première grosse bouffée d’émotion quand elle a joué non pas Gypsy cette fois, mais sa chanson jumelle, In Liverpool, qui parle du même homme. C’est peut-être ma chanson préférée de son répertoire, et comme cette version dépouillée était vraiment très belle, ça a fait remonter pas mal de trucs et ça m’a vraiment prise à la gorge.

 Un peu plus tard, Rosemary vers la fin du concert. Et là, re-boum. Je précise qu’étant une madeleine par nature, il m’arrive de temps en temps d’avoir la larme à l’œil en concert, mais ce sont plus rarement les grandes eaux comme ce soir. Rosemary, c’est une inédite peu connue, assez classique et qui n’apporte sans doute rien de neuf par rapport à ce qu’elle a fait avant, mais je trouve qu’il se passe quelque chose de magique dans le refrain. J’aime particulièrement cette phrase très imagée : « I had come to meet you/With a question in my footstep ». C’est la chanson que j’espère entendre chaque fois que je la vois en concert, et j’y ai droit une fois sur deux. Et au rappel, Anniversary. Une chanson en demi-teinte que je trouve très émouvante, qui évoque les fantômes qui peuplent les rues de New York et en filigrane le souvenir du 11 septembre. Et re-re-boum. Elle m’a prise aux tripes encore plus que d’habitude. Je devais être d’humeur à ça.

 

Pour le reste, la setlist était quasi parfaite. Pas mal de mes préférées en live (en plus des trois morceaux que je viens de citer : Caramel, Gypsy, Calypso, World before Columbus qui me fait toujours penser à ma frangine qui apprenait à la jouer à la guitare quand on habitait chez nos parents). Un seul morceau que je n’aime vraiment pas (Frank & Ava). Quelques versions vraiment surprenantes, comme chaque fois qu’elle joue en acoustique : là, c’étaient les deux morceaux les plus énergiques du concert, When heroes go down et surtout Tombstone dans des versions franchement excellentes. Un effet très curieux à la fin de Tom’s diner, chanté a cappella : lorsqu’elle marque une pause juste après « As I’m listening to the bells of the cathedral », le dernier mot a résonné comme si on se trouvait réellement dans une cathédrale. Je ne sais pas si l’effet était voulu mais ça a bien fait rire la salle.

 

Je commence à l’avoir pas mal vue depuis la tournée de Nine objects of desire en 1997. Je connais son numéro par cœur, les histoires qu’elle raconte entre les morceaux, je sais plus ou moins à quoi m’attendre mais il y a toujours des moments qui me surprennent. Il se passe toujours, à un moment ou un autre, quelque chose de vraiment poignant. Le fait que j’écoute sa musique depuis l’âge de quinze ans, surtout l’album Solitude standing, doit accentuer l’effet. Mais décidément, j’adore cette voix, ce sens de la mélodie qui touche à l’évidence, l’univers qui se dessine dans ses paroles. Je suis entrée dans la salle de concert totalement naze, un peu grincheuse parce que j’étais moins bien placée que d’habitude, avec l’envie de m’affaler contre la scène pour m’endormir sur place, et puis elle est arrivée, elle a joué les premières notes de Marlene on the wall et soudain j’étais vachement contente d’être là.

 

Pour ceux qui voudraient mettre des sons sur les titres cités dans cette entrée, plusieurs sont en écoute ici, puisque Deezer est mon nouvel ami.

 

PS : J’ai bien conscience que je passe mon temps à râler que je suis naze en ce moment, mais là, tout de suite, j’ai l’impression d’avoir le double de mon âge. L’avantage, c’est que demain au réveil, j’aurai rajeuni de 31 ans. J’attends ma grasse matinée de dimanche prochain avec une impatience, je ne vous dis que ça.

 

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Calexico, dix ans plus tard

 

Putain, dix ans. C’est l’idée qui m’a traversée en arrivant hier devant la scène de la Cigale pour y revoir Calexico (pour la dixième ou douzième fois depuis 1998). À l’époque, c’était déjà à la Cigale que j’étais venue les voir au festival des Inrockuptibles. J’avais acheté ma place exprès pour ce groupe, étant totalement accro à l’album The black light depuis deux ou trois mois. Les choses n’ont pas tellement changé en dix ans. Joey Burns a toujours la même coupe de cheveux, la même chemise à carreaux, il tire toujours la gueule en arrivant sur scène et cabotine ensuite avec le même sourire « Émail diamant ». John Convertino arbore toujours la même chemise blanche et il est toujours l’incarnation de la classe la plus absolue avec son jeu de batterie hypnotique et gracieux. Le groupe est le même, à peu de choses près – je me rappelle avoir vu au moins Volker Zander et Martin Wenk dès les premiers concerts, sans doute les autres aussi étaient-ils déjà là. Manquent juste les mariachi Luz de Luna qui les accompagnaient sur deux tournées, celles dont je garde un souvenir ébloui.


Pour ceux qui ne connaissent pas Calexico, le casting en images :

Joey Burns, l’homme aux éternelles chemises à carreaux : 

John Convertino, le batteur le plus fascinant de Tucson, du monde et de l’univers réunis :

Paul Niehaus que j’adore photographier sans bien savoir pourquoi – à un concert d’Iron & Wine où je m’étais passablement emmerdée par ailleurs, j’avais fait plusieurs gros plans de sa main.

Volker Zander qui a toujours une bouille pas possible en photo (en vrai aussi, d’ailleurs) :

Martin Wenk, et aussi Jacob Valenzuela au fond (pas très visibles, il est vrai) :

(Note aux photographes de petite taille qui auraient l’idée saugrenue d’entasser leurs affaires sur le devant de la scène : si vous avez le format adéquat pour vous accouder à la scène de la Cigale, évitez de poser devant vous un pull de couleurs vives qui aura la fâcheuse idée d’apparaître sur le bas de vos photos et d’en flinguer une partie.)

 

J’ai un peu décroché de la musique du groupe mais je continue à les suivre comme de vieux amis dont on prend régulièrement des nouvelles. Comme je l’expliquais dans une entrée précédente, j’avais été un peu déçue par le concert donné il y a deux ans au Bataclan et je craignais de revivre la même chose hier. On se sent toujours devenir vieux con quand un groupe qu’on suit depuis longtemps nous emballe moins qu’avant mais qu’on est entouré d’un public de plus en plus enthousiaste, limite hystérique. Ça m’avait énervée, au Bataclan. L’impression de voir un groupe surdoué devenir une machine certes efficace, mais qui marchait au pilote automatique. Et qui avait renoncé à une certaine spontanéité au profit d’une formule trop bien rôdée.

 

Hier aussi, le début m’a énervée. C’était un peu trop lisse et mécanique, et surtout, le groupe a joué dans la première demi-heure deux des chansons qui illustrent le mieux, pour moi, la façon dont Calexico peut parfois tourner en rond. D’abord Across the wire qui est une des chansons que j’aime le moins de leur répertoire – elle n’est pas si mal en soi, mais ils ont déjà fait la même chose en beaucoup mieux. Et puis Roka, autre morceau caractéristique de la tendance hispanisante de leur musique (arrangements de cuivres, paroles mélangeant espagnol et anglais). Entendre le public devenir totalement hystérique aux premières notes d’Across the wire m’a énervée et déçue à la fois. Je me suis dit que c’était mort et que j’étais arrivée à un stade où je n’étais plus en adéquation avec la musique du groupe.

 

C’est la partie où j’ai le plus mitraillé en attendant que ça passe, pour ainsi dire. Un peu déçue de ne pas très bien voir John Convertino d’où j’étais placée. J’ai obtenu deux photos de lui dont je suis assez fière, mais presque par accident. Le reste du temps, soit il était caché derrière les cymbales, soit le résultat est flou. Je regrettais de ne pas pouvoir observer mieux que ça son jeu de batterie. Dieu sait que s’il y a un membre de Calexico devant qui je suis en admiration béate, c’est bien lui.

 

Et puis il s’est passé quelque chose. Ils ont joué Black heart qui est un de mes morceaux préférés, forcément beaucoup moins poignant sur scène en l’absence des cordes, mais ça me fait toujours quelque chose de l’entendre. Je crois que c’est là que j’ai plongé. Et je me suis laissée gagner par la transe. Il faut dire que les morceaux du nouvel album Carried to dust passent remarquablement bien sur scène (j’ai un faible pour The news about William joué en fin de concert). J’ai trouvé le set un peu plus surprenant que ce à quoi je m’attendais. Je leur suis reconnaissante d’une chose au moins : c’est la première fois, en dix ans, que je vois un concert où ils ne jouent ni Stray, ni Minas de cobre qui faisaient partie des incontournables. J’adore ces deux morceaux, ce sont deux des grands moments de The black light, mais il était temps qu’ils passent à autre chose. Il y a bien eu The crystal frontier qui est un autre incontournable en live, mais l’énergie et le souffle étaient là. Et j’ai repensé, comme toujours, à la toute première fois où j’ai entendu ce morceau sur scène. C’était au Trabendo en 2000. J’avais eu l’impression de vivre un moment de folie qui balayait tout sur son passage, conclusion parfaite d’un des concerts les plus intenses et les plus euphorisants que j’aie jamais vus. Je crois que je me suis résignée à ne plus jamais connaître l’extase de cette tournée-là. Je sais que je ne vivrai plus jamais ce moment où j’avais observé, totalement hypnotisée, le jeu de John Convertino pendant toute la durée d’un Fade hallucinant qui paraissait s’étirer à l’infini (une de leurs chansons les plus méconnues, mais une des plus belles à mon avis – j’en avais posté une vidéo dans une entrée précédente).

 

Mes photos seront demain sur le Cargo, et en attendant, je me repasse en musique de fond l’album Hot rail que je n’avais pas ressorti depuis longtemps. Il contient justement Fade, qui m’a encore donné la chair de poule tout à l’heure. Et le superbe Sonic wind. Et quelques instrumentaux magnifiques, notamment le génial Mid-town. Je crois que je vais passer à Feast of wire dans quelques minutes, ne serait-ce que pour réentendre Black heart et Sunken waltz joués hier. Il n’y a eu que ces deux-là, parmi mes morceaux préférés – mais ils ont de nouveau réussi à me surprendre. Et ça, c’est inestimable.

 

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