Retour de Londres avec des kilomètres de marche dans les pattes, des photos plein la carte mémoire et une valise deux fois plus lourde qu’à l’aller. La faute à tout un tas de livres et DVD ainsi qu’à une collection de mugs de styles très différents. L’un d’entre eux était destiné à une amie que je ne citerai pas par égard pour sa réputation et qui m’avait passé commande d’un mug commémoratif du mariage royal imminent. Par égard pour ma propre réputation, je nierai être entrée dans une boutique attrape-touristes pour acheter cette chose. L’autre mug, destiné à mon usage personnel, provient du Shakespeare’s Globe. Le bord est illustré d’une tache de sang du plus bel effet assorti d’une citation de Macbeth : « Out, damned spot. Out, I say ! » Je n’ai pas pu résister.
Ce que je retiens de ces cinq jours passés à Londres ? Des images et des souvenirs en vrac, comme d’habitude :
Ma fâcheuse tendance à oublier que marcher sans faire de pauses régulières peut vous donner l’impression d’avoir des jambes de petite vieille sur le coup de 15h. Et que c’est toujours dans ces moments-là que surviennent les galères de métro qui vous obligent à rester debout une bonne demi-heure de plus. J’adore marcher, mais je crois avoir un peu abusé cette fois-ci.
L’expo Doctor Who Experience, dont j’étais la seule visiteuse avant d’être rejointe au bout d’une demi-heure par un couple avec enfants qui s’enthousiasmait autant pour le contenu relatif à l’ancienne série qu’à la nouvelle (contrairement à moi). C’est une expo avant tout destinée aux enfants, et ça se sent, notamment lors de l’animation qui vous fait traverser plusieurs pièces animées façon parc d’attraction, où l’on entre dans la première à travers la fissure du mur d’Amy Pond et où l’on pilote le Tardis avant de se faire canarder par les Daleks. J’ai particulièrement aimé la deuxième partie, qui est une présentation des personnages et des monstres principaux. Certains décors et costumes sont d’authentiques accessoires de la série, je n’ai pas bien compris si c’était le cas de tous les autres.
La découverte de nouveaux quartiers : Notting Hill et le marché de Portobello Road où je suis allée flâner le dernier jour, Spitalfields où j’ai dîné avec des amis avant de revenir m’y balader le lendemain, et de tomber par hasard sur une boutique de vêtements assez hallucinante, Dolly Dare, qui cache une collection de robes terrible derrière une intrigante façade rose bonbon très années 50. La vendeuse était adorable et parfaitement assortie au décor.
La visite du Globe, reconstitution du théâtre de Shakespeare, le deuxième jour. Visite guidée passionnante où le guide nous a longuement parlé de l’ambiance qui devait régner à l’époque dans le théâtre d’origine, avec l’interaction constante entre les acteurs et le public. Le même guide, une dame d’une soixantaine d’années à l’accent BBC très posé, nous a précisé en passant qu’un épisode de Dr Who avait été tourné sur les lieux. Cet épisode, qui est un de mes préférés, rend justement très bien cette ambiance et cette interaction. Ce qui m’émeut le plus dans la visite du Globe, c’est de voir reconstitué le décor pour lequel les pièces de Shakespeare ont été écrites. Je n’ai pas pu m’empêcher de repenser au prologue de Henry V, qui interpelle le spectateur en lui demandant de fournir un effort d’imagination pour se représenter le champ de bataille d’Azincourt à l’intérieur des murs de ce « wooden O ». « Suppose, within the girdle of these walls, are now confined two mighty monarchies… »
La Tate Britain, le lendemain, où j’allais voir les préraphaélites et où je suis finalement tombée en arrêt devant les œuvres de William Blake. Il y a longtemps que je tourne autour de ses œuvres en me promettant de m’y plonger un jour, mais rien ne m’avait encore réellement parlé. Alors que cette fois, ça a été un choc. Aucune reproduction ne rend justice à ses tableaux, ni à son sens réellement saisissant du mouvement et de la couleur. Moi qui ne suis pas très sensible à la peinture en général (même si je bloque surtout sur la peinture « classique »), il est très rare que je tombe sur un peintre qui me touche à ce point. Si j’ai un jour la chance d’aller à New York, il faudra que j’aille voir son Grand dragon rouge. En comparaison, les tableaux de Turner, la star du musée, m’ont paru extrêmement fades – c’est sans doute génial, mais ça ne me parle absolument pas. L’autre tableau qui m’a marquée, dans la même salle que les préraphaélites, c’est Ellen Terry as Lady Macbeth de John Singer Sargent, tableau assez classique dans sa composition mais dont les couleurs et l’expression sont frappantes, au point qu’on le remarque depuis l’autre bout de la salle.
La rencontre avec John Clute, critique et encyclopédiste de science-fiction, et son épouse Judith, avec qui on m’avait mise en contact parce que je cherchais des librairies d’occasion. John m’en a donc indiqué deux dans les environs de Camden et m’a accompagnée jusqu’à la première, où j’ai acheté un recueil de poèmes d’Emily Brontë (signé par la personne ayant composé le recueil). Tous deux sont adorables et m’ont très bien accueillie. Judith, en particulier, est extrêmement chaleureuse et a le don de vous mettre immédiatement à l’aise.
Le grand écart réalisé en visitant à une demi-heure d’intervalle la boutique Forbidden Planet (plus ou moins l’équivalent de nos librairies Album, véritable mine de livres, comics et gadgets de SF) et le grand magasin Fortnum and Mason à l’ambiance surannée où j’ai décidé, sur un coup de tête, de m’arrêter prendre le thé. L’earl grey était bon sans plus, mais les scones servis tièdes avec du beurre et de la confiture étaient à tomber par terre.
La découverte à deux pas de Covent Garden d’une petite cour toute mignonne et colorée baptisée Neal’s Yard, où j’ai dîné au Neal Yard’s Salad Bar d’une pizza poulet/poireaux/basilic elle aussi à tomber par terre.
L’expédition catastrophe qui me conduisit en banlieue où j’errai une bonne heure tel le David Vincent moyen à la recherche du Whoshop que je ne trouvai jamais.
L’improbable révélation mystique de l’avant-dernier soir alors que j’étais affalée sur mon lit d’hôtel minuscule après une épuisante journée de marche, en train de manger un sandwich acheté chez Tesco en buvant du Dr Pepper, et que j’ai décidé de lire enfin le poème « The Waste Land » de T.S. Eliot, dont je venais d’acheter un recueil. Ce poème m’intrigue depuis le jour où j’en ai découvert un extrait cité par Stephen King dans La Tour sombre, et j’en avais découvert d’autres extraits récemment en écrivant une nouvelle qui parle entre autres de poésie anglaise, mais je ne l’avais jamais lu en entier. Je n’ai pas compris grand-chose au sens de ce poème (ce en quoi je ne suis pas la seule), mais il m’a fait le même effet que les tableaux de William Blake : certains passages sont vraiment puissants. J’ai découvert au passage que beaucoup d’expressions contenues dans ce poème ont donné leur titre à d’autres œuvres (comme les romans de Iain M. Banks Look to windward et Consider Phlebas) ou été repris par d’autres artistes (les « bats with baby faces » sans doute empruntés par Patti Smith sur une des chansons de Horses). Je crois que je n’ai pas fini de creuser ce poème.
Et puis des souvenirs culinaires en vrac (cornish pasties et sandwiches toujours délicieux, qui me rendent de plus en plus perplexe vis-à-vis de la mauvaise réputation de la cuisine anglaise), des photos en pagaille, des livres d’occasion (Dix petits nègres que je voulais relire, Mrs Dalloway et Rebecca que je veux découvrir) et DVDs trouvés chez Fopp, où l’album Let England Shake de PJ Harvey a démarré à l’instant précis où je descendais au sous-sol – je suis restée farfouiller dans les bacs jusqu’à la fin de On Battleship Hill, pour repartir avec Morse, Good Morning England et Picnic at Hanging Rock qui m’intrigue énormément.
Ça tombe bien, il me reste une semaine de vacances pour lire et regarder tout ça.