J’ai sans doute déjà parlé ici du plaisir particulier, lorsqu’on est traducteur, qui consiste à devenir le passeur d’un texte. Le recueil de Lisa Tuttle, Ainsi naissent les fantômes, a été pour moi une expérience encore plus particulière à cet égard : la possibilité de mettre en avant le travail d’un auteur assez confidentiel mais dont le travail m’a énormément marquée, au point d’influencer nettement ma propre écriture. Mais je n’imaginais pas bien quel moment surréaliste ce serait de participer hier aux premières Dystopiales de la librairie Charybde en compagnie de Lisa et de me demander ce que j’aurais éprouvé, quand je découvrais ses textes à seize ou dix-sept ans, si l’on m’avait raconté cette soirée-là.
Ian McDonald, Jean-Daniel Brèque, Lucius Shepard
Nicolas Fructus dédicaçant Le Dragon Griaule de Lucius Shepard
Compte tenu de la belle brochette d’auteurs et d’illustrateurs présents, dont Ian McDonald et Lucius Shepard de passage en France pour quelques jours, je m’attendais à ce que la soirée attire pas mal de monde. Mais pas à ce qu’elle soit bondée à ce point. Il m’a semblé que tous les participants signaient à tour de bras toute la soirée. En tout cas, Lisa et moi, dans notre coin de la librairie, avons été très occupées. Entendre les gens lui dire à quel point ses textes les ont remués, puis la voir retrouver des connaissances pas revues depuis longtemps, a été très émouvant. D’autant que j’ai découvert qu’il s’agissait sans doute, pour autant qu’elle se souvienne, de sa toute première dédicace en France. Je suis ravie également que la soirée lui ait permis de rencontrer Nathalie Serval qui était sa traductrice attitrée sur les livres précédents. Je leur ai fait signer à toutes deux mon exemplaire du recueil Le Nid qui m’accompagne depuis l’adolescence. Autres petites joies de la soirée : signer Kadath pour Ian McDonald, ou rencontrer une lectrice qui m’apportait mes quatre livres à signer et m’a avoué qu’elle n’aimait pas les nouvelles avant de lire Serpentine.
J’ai eu le sentiment hier d’avoir contribué à mettre en marche une machine qui continue son petit bonhomme de chemin toute seule. Une rencontre a lieu entre des textes et des lecteurs, et l’accueil est au-delà de mes espérances. Par ailleurs, c’est toujours très agréable quand le courant passe autant avec la personne qu’avec l’écrivain ; j’apprécie d’être assez à l’aise avec Lisa pour pouvoir lui dire sans aucune gêne que ses textes m’ont marquée ou que j’ai versé une larme en traduisant sa nouvelle « Le Remède ». Mais aussi pour pouvoir discuter de tout et n’importe quoi lors d’un trajet en taxi, le plus naturellement du monde. Quand je repense à la lectrice que j’étais à seize ans et qui n’imaginait même pas croiser un jour sa route, je ne peux pas m’empêcher de trouver tout ça surréaliste. En tout cas, je suis ravie de ces deux jours passés en sa présence et de la franche réussite qu’on été ces premières Dystopiales. Un immense merci à tous ceux qui sont passés nous voir.