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Alan Wake

Sur le papier, Alan Wake était fait pour moi : un jeu fantastique très inspiré par Stephen King, tournant autour du thème de l’écriture, et qui fait référence aussi bien à L’Antre de la folie qu’à Twin Peaks. Je lorgnais déjà dessus lorsque j’ai dû choisir entre xBox et PS3, et j’ai sauté sur l’occasion quand le jeu est ressorti tout récemment sur PC. De quoi poursuivre mon exploration du domaine des jeux-à-faire-peur.

Le problème, en l’occurrence, c’est que j’ai été déformée par la pratique des Silent Hill, qui rend terriblement exigeant en matière d’ambiance, de personnages, de scénario et d’approche du fantastique. De ce point de vue, Alan Wake m’a un peu déçue. Le jeu commence assez fort, avec une belle ambiance à la Twin Peaks dans la découverte de la ville où Alan Wake, écrivain d’horreur en panne d’inspiration, vient passer ses vacances avec sa femme Alice. Laquelle disparaît dans d’étranges circonstances. Alan perd les souvenirs de toute cette semaine-là, la police refuse de le croire, et il découvre des pages d’un manuscrit qu’il ne se rappelle pas avoir écrit, mais qui détaille les événements qu’il est en train de vivre. Il se retrouve alors traqué par une « ombre noire » qui vit dans les ténèbres et cherche à l’empêcher de retrouver Alice.

Le système de combat adopté est assez original. Il reprend les codes des jeux de survival horror, mais en y ajoutant une dimension inédite à travers un jeu sur l’ombre et la lumière. Les possédés que l’ombre envoie tuer Alan ne peuvent exister que dans le noir, et ne peuvent être détruits que lorsqu’on a affaiblit leurs défenses en braquant une torche sur eux. J’ai trouvé les combats assez envahissants au fil du jeu, sans doute parce que je préfère la dimension aventure à l’action, mais la mécanique m’a semblé très astucieuse. Il y a quelques beaux combats épiques : contre une tornade, une nuée d’oiseaux tout droit sortie de chez Hitchcock, ou contre une armée de possédés sur une scène de concert rock bâtie dans un champ isolé par deux frères qui se prennent par des dieux nordiques. Mais les combats plus ordinaires qui constituent l’essentiel du jeu m’ont semblé ne servir qu’à rallonger artificiellement la durée du jeu en empêchant le scénario d’avancer.

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Sur le scénario lui-même, je suis partagée. Il est plutôt bon dans l’ensemble, et donne lieu à quelques très belles scènes. Mais je l’ai quand même trouvé assez basique, presque hollywoodien par moments. Les personnages ont très peu d’épaisseur. Les pages du manuscrit que ramasse Alan ne sont finalement qu’un gimmick qui ne débouche sur rien – d’autant qu’elles sont très mal écrites, ce qui est dommage pour un personnage inspiré par Stephen King. J’ai eu l’impression de voir un de ces romans écrits « à la King » par des auteurs moins doués qui croient pouvoir faire l’économie de toute la dimension humaine et psychologique de ses écrits. Tout ce qui touche à l’écriture dans Alan Wake est finalement assez bateau, et j’en suis la première frustrée. Il y a une scène vraiment belle et inventive qui joue sur ce thème, et où il faut faire réapparaître des objets figurés par des mots tapés à la machine, mais elle n’arrive que vers la fin. On croise toutefois dans les derniers épisodes un personnage vraiment savoureux, inspiré par la « femme à la bûche » de Twin Peaks, qui réintroduit un grain de folie bienvenu dans le jeu.

Je crois que ce que j’ai préféré, en fin de compte, est tout ce jeu sur les ombres et les lumières, avec de jolies variations. Une fois qu’on a intégré les règles, on se retrouve désemparé chaque fois qu’elles sont brisées : lorsqu’une course-poursuite avec la police les inverse (la lumière des hélicoptères représente alors le danger, et l’ombre la sécurité), où lorsqu’on se retrouve à courir plusieurs minutes à l’abri de la lumière du jour en se doutant bien que ça ne va pas durer. Si le jeu avait été plus condensé, il aurait pu être d’une belle densité, et les scènes les plus réussies y auraient gagné en impact. En l’état, j’ai eu l’impression de voir un jeu étiré sur une longueur artificielle par rapport à ce qu’il a réellement à offrir. Je le conseillerais tout de même aux amateurs de jeux fantastiques, tout en précisant que je ne suis sans doute pas une joueuse représentative : je suis beaucoup plus intéressée par le scénario et l’ambiance que par le challenge. Sans doute les joueurs plus amateurs de défis (et moins exigeants sur le fantastique et le thème de l’écriture) seront-ils d’un autre avis.

 

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Les démons de Silent Hill

Il va m’être très difficile de parler de Silent Hill 2 sans recourir aux superlatifs. C’est tout simplement l’un des jeux les plus impressionnants auxquels il m’ait été donné de jouer. J’avais déjà parlé ici il y a quelques mois de ma fascination de longue date pour Silent Hill, auquel je n’ai joué pour la première fois que tout récemment. Tout me soufflait que ce jeu-là serait mon jeu. L’expérience du premier épisode me l’avait confirmé, mais ce Silent Hill 2 me le prouve d’une toute autre manière.

 

 

Comme je l’ai donc déjà dit en ces lieux, toute personne s’intéressant au fantastique et à la mise en scène de la peur se doit d’explorer au moins une fois les rues de Silent Hill. Mais j’ajouterais que toute personne qui s’intéresse comme moi à la dimension psychanalytique du fantastique doit absolument jouer à Silent Hill 2. Je n’ai jamais vu de jeu qui creuse ce sillon-là de manière aussi habile, aussi subtile, et j’irais jusqu’à dire aussi courageuse : voilà un jeu qui sait faire confiance à l’intelligence du joueur et à sa capacité à lire entre les lignes. Le premier Silent Hill était déjà une expérience marquante et parfois dérangeante, mais il l’était de manière plus frontale. Dans Silent Hill 2, les moments les plus forts jouent finalement beaucoup sur les sous-entendus et sur une imagerie qui titille l’inconscient.

  

 

Dans ce deuxième épisode, on incarne un jeune veuf, James Sunderland, dont l’épouse Mary est morte de maladie trois ans plus tôt. James reçoit pourtant une lettre écrite par Mary, qui semble l’appeler à Silent Hill où ils avaient passé des vacances heureuses. Mais au lieu de la ville balnéaire tranquille de ses souvenirs, James trouve une ville déserte et délabrée, noyée dans la brume et peuplée de monstres informes. Il y rencontre des personnages tous plus paumés et torturés les uns que les autres, et notamment l’intrigante Maria, sosie absolu de Mary, qui insiste pour l’accompagner.

   

Le premier aspect fascinant de Silent Hill 2, c’est de ne pas être une suite directe du premier, et d’ouvrir ainsi la porte à pas mal d’interprétations. On croyait savoir plus ou moins à quel moment Silent Hill était devenue cette ville hantée – mais on redécouvre ici une ville différente, dont la géographie n’est plus la même, et qui ressemble à une projection de l’espace mental des personnages qui s’y égarent (ce qui n’est pas incompatible avec les hypothèses du premier jeu, mais là, c’est moi qui m’égare). Et c’est précisément là que le jeu frappe très fort. Plus qu’une intrigue linéaire, c’est une suite de thèmes que tisse le scénario. Un schéma se dégage en particulier : tous les personnages que l’on croise portent un fardeau, un lourd secret, ou ont un meurtre sur la conscience. Les messages que l’on découvre ça et là sur les murs ou dans l’hôpital renvoient à des histoires semblables. Et le monstre le plus marquant du jeu, resté pour pas mal de gens la figure emblématique de la série, est une créature terrifiante aux allures de bourreau, coiffé d’un casque métallique en forme de pyramide et armé d’un long couteau. Très vite, on s’interroge sur les raisons réelles qui rappellent James à Silent Hill. Comme si la ville et les gens et monstres qu’il y croise cherchaient à lui transmettre un message qu’il comprendra progressivement.

 

Par certains aspects, le scénario m’a rappelé Les Autres (en tout cas la façon dont j’avais perçu le film à la deuxième vision, où il prend un tout autre sens). Par d’autres, les ambiances de David Lynch – voir ce complexe d’appartements où l’on trouve une chambre vide envahie de papillons, et une autre où un cadavre regarde un téléviseur éteint – ou encore l’imagerie organique malsaine d’un Clive Barker. Une scène, à ce sujet, m’a particulièrement marquée. Chacun des personnages que l’on croise affronte ses propres démons ; pour l’un d’entre eux, il s’agit d’un inceste. Aux deux tiers du jeu, on affronte une créature représentant ce père incestueux. C’est peut-être la scène la plus dérangeante que j’aie jamais vue dans un jeu vidéo. Rien n’est dit ouvertement, mais tout ce qui est suggéré est extrêmement clair et fort. L’aspect visuel de ce monstre informe, mais aussi de la pièce aux murs quasi organiques percés de rangées de trous, ressemble à ce que pourrait être la symbolique de cet inceste vue dans un cauchemar dont on se réveille en sursaut sans bien comprendre pourquoi. Il y a quelque chose, dans cette scène et tout ce qu’elle suggère en peu d’effets, qui vous prend réellement aux tripes, comme un rêve qui va puiser très profondément dans votre inconscient. En comparaison, la dernière partie du jeu m’a presque paru fade, tant cette scène-là était puissante. Elle est d’ailleurs assez représentative de ce que Silent Hill 2 apporte par rapport à son prédécesseur : les monstres du premier jeu, chiens écorchés ou insectes géants, n’étaient pas toujours très convaincants, même s’ils s’inscrivaient dans une certaine logique (un imaginaire enfantin qui trouvait son explication dans l’intrigue). Ceux de Silent Hill 2 – créatures informes, mannequins sans tête constitués de deux paires de jambes – ont quelque chose de beaucoup plus suggestif et dérangeant, et semblent renvoyer indirectement aux démons (figurés, ceux-là) qui hantent James.

 

J’aurais pu parler aussi de la bande-son toujours aussi travaillée, presque un personnage à part entière : les bruits de fond distordus, les thèmes musicaux, le célèbre grésillement de la radio qui annonce l’approche des monstres… Tous ces sons qui représentent le pouls, la vie propre de cette ville fantôme. Si j’avais un reproche à formuler, ce serait le caractère assez répétitif du gameplay : trop d’allers-retours dans des couloirs pour aller chercher des clés ou des munitions, et certains passages évoquent un peu trop un copier/coller du premier épisode (les bâtiments à explorer – hôpital, hôtel, etc – se ressemblent trop). Et une autre remarque, plus personnelle celle-là : l’aspect que prend la Silent Hill parallèle est beaucoup moins terrifiant dans sa version nocturne que dans la version « métallique » du premier épisode : ne pas savoir pourquoi, soudain, la ville n’était plus composée que de grillages rouillés avait quelque chose de franchement effrayant. Mais ce sont des reproches mineurs au regard de la puissance et de l’intelligence du jeu dans son ensemble. Si vous aimez le fantastique aussi profondément que je l’aime, dans sa capacité à fouiller la psyché de personnages torturés et à créer une véritable poésie de l’effroi, je ne peux que vous conseiller de vous aventurer à Silent Hill. Je crois qu’ensuite, on n’en revient jamais vraiment. Quelques mois après avoir fini le premier jeu, son introduction, son thème musical et son intrigante première phrase continuent à me hanter.

  

 

En attendant d’explorer les autres jeux de la série, je m’apprête à revoir le film de Christophe Gans, adapté du premier épisode avec quelques emprunts au deuxième. Il m’avait déjà pas mal énervée quand je l’avais vu sans connaître les jeux, et je crois qu’une deuxième vision n’arrangera rien. Je sais que le scénario bancal me fera pester , je sais que je serai très énervée de voir Jodelle Ferland incarner aussi mal deux figures aussi essentielles – j’ai une fascination trop grande pour la figure tragique d’Alessa Gillespie pour supporter qu’on la transpose aussi mal à l’écran. Malgré tout, l’exercice m’intéresse, et je serai curieuse de revoir certaines scènes à présent que je sais d’où elles viennent (je pense notamment à une scène qui implique l’infirmière Lisa, un de mes personnages préférés du premier jeu).

 

Et ensuite, je reviendrai sans doute en reparler ici.

  

 

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Les rues de Silent Hill

J’imagine que tous les gens se passionnant pour l’une ou l’autre forme d’art ou d’expression ont connu ça un jour : fantasmer des années sur un livre/film/album/etc sans pouvoir y accéder, au point qu’il nourrit indirectement notre imaginaire. En matière de séries, j’ai rêvé des années de Twin Peaks (depuis sa toute première diffusion, en fait) avant de pouvoir enfin m’y plonger. Du côté des jeux vidéo, il y en avait un qui m’intriguait depuis une bonne dizaine d’années. Depuis le jour où j’étais tombée sur un article décrivant un jeu d’aventure dans lequel un père recherchait sa petite fille dans une ville envahie par la brume et peuplée de monstres, j’avais eu l’intuition que Silent Hill était pour moi. Tout ce que j’avais entendu par la suite avait renforcé mon envie de voir ce jeu : la « mythologie Silent Hill » dont parlent les fans, sa réputation de jeu le plus flippant de l’histoire du jeu vidéo, la sortie du film de Christophe Gans qui ne m’avait pas totalement convaincue malgré de très belles scènes, mais qui m’avait poussée à me renseigner sur le scénario du jeu d’origine. Au fil des années, la série Silent Hill devenait un classique et je croyais bêtement qu’il était trop tard pour découvrir l’original sur les machines actuelles.

 

Quand j’ai appris tout récemment que les jeux de la première Playstation étaient compatibles avec la PS3, quel a été à votre avis mon premier réflexe ?

 

Le jeu est entré chez moi depuis deux jours. Je vous passe la grosse bouffée d’émotion en le lançant pour la première fois, sur l’air de « Non, c’est pas possible, je vais vraiment jouer à Silent Hill ? » Deux constatations dès les premières minutes : les graphismes ont vieilli – et la bande-son est grandiose. Une des plus travaillées que j’aie jamais entendu dans un jeu. Au bout de dix minutes, je comprenais déjà pourquoi ce jeu avait marqué les esprits. Ce n’est pas tant le déroulement de l’intrigue, qui reste un jeu d’aventure assez classique (visiter tel endroit, prendre tel objet, l’utiliser pour telle action), que l’ambiance et la mise en scène. J’avoue avoir bondi d’un mètre au-dessus du canapé au tout début du jeu, quand Harry Mason explore une ruelle obscure muni d’une simple torche, et que le premier monstre lui saute dessus sans prévenir. Quatre ou cinq heures de jeu plus tard, je n’ai pas connu d’autres grosses trouilles du même genre, mais il faut reconnaître qu’on joue à Silent Hill dans un état de tension constante qui est suscité avec une subtilité impressionnante. Ce ne sont pas les monstres qui font peur ; ils sont plus pitoyables qu’autre chose, surtout ces chiens écorchés qui hantent les rues et qu’on prendrait presque en pitié. C’est l’impression d’anomalie constante qui habite les lieux : les rues désertes et noyées dans la brume, qui s’interrompent parfois pour ne déboucher que sur du vide ; les fauteuils roulants et autres objets médicaux abandonnés dans les recoins ; l’étrangeté du décor fantôme dans lequel on bascule en visitant l’école de Midwich : une autre école dont le plan est identique, mais où les murs sont grillagés, où les pièces ont des murs sales couverts de rouille et de sang, où des chaînes pendent au plafond – on se croirait chez Clive Barker. S’y ajoute une bande-son magnifique et vraiment effrayante, entre les bruitages d’ambiance oppressants, le grincement des portes, et cette radio qui émet des grésillements crispants chaque fois qu’un monstre approche. L’idée de la radio m’a rappelé Aliens auquel je jouais sur Amstrad, un jeu assez moyen mais bien flippant lui aussi grâce au « bip bip » strident qui retentissait en présence de chaque Alien, et qui nous annonçait qu’il nous restait quelques secondes pour le trouver avant qu’il ne nous trouve.

 

Pour moi qui m’intéresse au fantastique, à son imagerie et à la manière de le mettre en scène, Silent Hill est particulièrement impressionnant à cet égard : il a une identité visuelle très forte, malgré des graphismes assez limités, et la travail sur le son est particulièrement subtil. Les scénaristes se sont d’ailleurs amusés à baptiser les rues d’après des auteurs classiques du genre : Bradbury, Bloch, Levin, Bachman… Un peu plus loin, une autre référence m’a fait sourire, musicale celle-là : une liste de professeurs mentionnant les noms « Ranaldo, Moore, Gordon ». Visiblement, des fans de Sonic Youth sont passés par là.

 

À l’heure qu’il est, j’ai survécu à l’épreuve de l’école (non sans avoir rejoué dix fois le même passage avec une jauge de vie dans le rouge, plus de munitions, et des couloirs que je traversais dans le noir pour éviter les monstres). J’ai tué le monstre du sous-sol, retrouvé la lumière du jour, rencontré Dahlia Gillespie dans l’église. Je ne vais plus tarder à visiter l’hôpital. J’appréhende un peu d’y retourner. Ce n’est vraiment pas un jeu confortable à jouer, mais c’est ce qui fait sa force. Je suis heureuse qu’il ne m’ait pas déçue. J’aime découvrir un jeu qui ne se contente pas d’être distrayant, mais qui offre un véritable travail de création. Et qui rappelle que le jeu vidéo, à sa façon, est lui aussi une forme d’art.

 

Et pendant ce temps, chaque semaine apporte de petites et grandes joies. Des rencontres scolaires ; une nouvelle qui semble se débloquer pour de bon et que je devrais bientôt pouvoir écrire ; une très belle critique de Notre-Dame-aux-Écailles par Serge Lehman dans Le Monde, qui fait de ce recueil une lecture qui m’a beaucoup touchée. Et vendredi prochain, le 4 février, une journée à Hérouville-Saint-Clair, près de Caen, pour diverses rencontres avec des lycéens et des lecteurs. Une rencontre publique aura lieu à 19h à la bibliothèque. L’organisation est particulièrement efficace et enthousiaste, le programme alléchant, la journée devrait en valoir la peine.

 

 

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